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L’économie entre épistémè et technè : les enjeux d’une clarification épistémologique [2020-2021]

Porté par le LAET

Description du projet

L’économie, en tant que discipline académique, s’intéresse à l’étude de systèmes ontologiquement complexes, et tend à se poser comme le champ des sciences humaines et sociales le plus scientifiquement établi. L’objectif de ce projet de recherche est de questionner à la fois l’ambition scientifique de l’économie et la prise en compte de la complexité par les « praticiens » de l’économie. La complexité de l’économie se manifeste à plusieurs niveaux. Dans ses objets d’étude tout d’abord, qui se caractérisent par des phénomènes d’émergence, d’auto-régulation, d’auto- organisation et d’interactions multiples, et ce entre différents niveaux d’organisation (individuel, institutionnel, organisationnel, étatique, etc). A cette complexité ontologique des objets économiques s’ajoute celle des outils et des approches développées par les économistes. En effet, l’économie s’incarne aujourd’hui dans de nombreuses sous-disciplines (économie expérimentale, économie du développement, théorie économique, cliométrie, etc.), que celles-ci se définissent de manière thématique ou par les outils et les méthodes auxquels elles recourent. De plus, ces sous-disciplines sont parfois conduites à interagir entre elles mais aussi avec d’autres disciplines, comme la physique, la biologie, la psychologie ou les sciences cognitives. L’analyse épistémologique en devient alors plus ardue car les échanges entre les différentes sous-disciplines d’une part et entre l’économie et les autres disciplines d’autre part, ne recouvrent pas les mêmes réalités. Plus précisément, ces échanges entre sous-disciplines et entre disciplines peuvent se faire sous la forme d’analogies ou de métaphores, par des transferts de concepts ou d’outils, mais aussi parfois de manière purement rhétorique.

Dans ce contexte, une clarification des enjeux épistémologiques propre à la discipline économique, en tant qu’elle élabore un discours sur le monde, apparaît nécessaire. Ce projet cherchera donc à établir cette clarification à partir de la distinction aristotélicienne entre épistémè et technè. A travers ces deux notions, ce projet vise d’une part à expliciter les critères de scientificité du savoir économique en tant qu’épistémè tout en interrogeant les limites et les frontières de ce savoir. D’autre part, il vise également à questionner le statut de la connaissance économique, et notamment de ce qui, en son sein, relève d’une technè, c’est-à-dire d’une connaissance ayant une visée d’action sur son objet et ne se limitant donc pas à une visée explicative et descriptive.

  • 1. Épistémé, frontières de l’économie et critères de scientificité
    Il s’agira tout d’abord d’interroger les conditions de scientificité de l’économie comme discipline, en cherchant à la fois à en délimiter les frontières mais aussi à en questionner les critères de validation scientifique. Une telle analyse s’appuiera sur les travaux de l’école française de l’épistémologie « constructiviste ». L’école française de l’épistémologie « constructiviste » fut initiée par les travaux de Gaston Bachelard, et se prolonge notamment dans les écrits de Georges Canguilhem, François Jacob, Alexandre Koyré, Gilles Gaston-Granger, Michel Foucault, ou encore dans ceux de Jean- Louis Le Moigne. Selon cette approche, la démarche scientifique ne constitue pas simplement un processus de découverte scientifique dont le critère de validation principal résiderait dans la concordance entre la théorie et les faits observés, mais elle est bien davantage un processus historiquement contraint, à la fois par l’inertie des savoirs précédents et par les normes scientifiques qui la déterminent. A la lumière des concepts introduits pas ces auteurs, il s’agira donc de tenter de déterminer ce que pourraient être les critères de scientificité de la « science économique ».
  • 2. Techné, politique et statut de la connaissance en économie
    Dans un second temps, ce projet de recherche vise également à clarifier le statut de la connaissance économique, et notamment les modalités qui caractérisent l’interaction entre la discipline économique et la sphère publique et politique. En repartant de la distinction aristotélicienne entre épistémè et technè, il s’agira alors de clarifier la position de la « science économique » dans le champ des savoirs. Constitue-t-elle un savoir autonome, trouvant sa légitimation dans l’objectif qu’elle se fixe de décrire et d’expliquer les phénomènes économiques, ou vise-t-elle également à agir sur le monde, et de fait à se poser en technè, c’est-à-dire en art, au même titre que la médecine ? En d’autres termes, si l’économie est un savoir, doit-elle s’inspirer de la physique ou de la biologie pour penser le rapport à son objet ? Doit-elle alors se concevoir comme une physique sociale, ou une biologie sociale, une sociobiologie ? Et si elle se pense comme technè, comme une médecine sociale, sur quels savoirs doit-elle fonder la légitimité de son action ? La clarification du statut de la connaissance économique permettra également de questionner les modalités d’exercice du métier d’économiste, entre détenteur d’un savoir, et prescripteur de remèdes, et de révéler les enjeux déontologiques qui en découlent.

Coordination du projet

Judith FAVEREAU (TRIANGLE) et Pierre LEVIAUX (LAET)