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Journée d’études : « Matérialismes trans »

30 mars 2019, à l’ENS de Lyon, site Descartes, salle D2.002

Présentation

Journée d’études organisée par Pauline Clochec et Noemie Grunenwald, avec les soutiens des laboratoires Triangle, IHRIM et du Centre Max Weber.

Programme

  • 9h30-9h45 : Introduction
  • 9h45-10h45 : Emmanuel Beaubatie : « Le genre précède le changement de sexe. Parcours d’hommes et de femmes trans’ en France ».
  • 10h45-11h45 : Constance Lefebvre : « Femmes trans féministes : pensées, parole et actions sous la contrainte de l’hégémonie cissexuelle ».
  • 11h45-12h45 : Joao Gabriell : « Devenir l’homme noir : repenser les expériences trans masculines au prisme de la question raciale ».
  • 12h45-14h : Pause déjeuner
  • 14h-15h : Noémie Grunenwald : « Des femmes comme les autres ? Penser les violences faites aux femmes trans à travers la pratique féministe ».
  • 15-16h : Pauline Clochec : « Les conditions sociales de l’accès au corps ».
  • 16h-16h15 : pause café
  • 16h15-17h15 : Delphine Christy : titre à déterminer.
  • 17h15-18h15 : Circé Delisle : « Votre genre est-il dans votre tête ? Histoire critique de la notion d’identité de genre ».

Argumentaire

Le terme récent et désormais presque hégémonique de « transidentité », désormais récupéré par la SOFECT en France, a pour effet, au moins connotatif, de replier la transitude sur un phénomène prioritairement intérieur. À l’inverse d’une telle approche psychologisante, une approche matérialiste de la transitude s’est développée depuis le début des années 2000, conceptualisant la transitude comme un phénomène social, d’une part dans le cadre d’une analyse de classe héritée du féminisme matérialiste et, plus lointainement, du marxisme (cf. par exemple Koyama, 2003 ; Irving, 2014 ; Ramin aven de Midde, 2016 ; Caldwell, 2017 ; Gleeson, 2017), d’autre part à partir d’une compréhension du corps critiquant la conception butlerienne de la performativité, s’inscrivant dans le courant du nouveau matérialisme (cf. Rubin, 2003 ; Salamon, 2010 ; Simpkins, 2016). C’est alors comme position sociale dans une société divisée en classes de sexe, et non d’abord comme identité, qu’est étudiée la condition des personnes trans.

Cependant, l’énoncé même de « matérialisme trans » paraît heurter un présupposé prégnant dans le champ féministe. En France notamment, une partie des théoriciennes du féminisme matérialiste a régulièrement manifesté son hostilité à l’égard du transféminisme, voire à l’égard de l’existence même des personnes trans et tout particulièrement des femmes transet de leur inscription dans les luttes féministes (Delphy, 2013). C’est ainsi le projet même d’un transféminisme matérialiste qui semble paradoxal, renié a priori qu’il est par une fondatrice du féminisme matérialiste telle Christine Delphy. Une telle critique prend pour objet les versions queer du transféminisme, ou ses versions développées dans le sillage du tournant théorique dit queer impulsé en 1990 par les ouvrages simultanés de Judith Butler, Eve Kosowsky-Sedgwick et Teresa de Lauretis. De fait, une incompatibilité certaine oppose une analyse matérialiste du genre en termes de classes de sexe à la fréquente thèse queer – ou issue du tournant queer s’en y avoir été proprement formulée – d’une production individuelle des genres. Ainsi, si le féminisme matérialiste, autant que d’une correction du marxisme, peut se prévaloir d’un héritage marxiste, les mouvements et théories queer, malgré leur prétention à la radicalité politique (Butler, 2016) ont pu être à l’inverse accusées de présupposer théoriquement un libéralisme par leur focalisation sur les individus au détriment d’une analyse de classe (Masson et Thiers-Vidal, 2002 ; Cochin, 2017 ; Delisle, 2017).

Toutefois, si une partie du transféminisme rejoint bien le mouvement queer, en se fondant souvent sur un sens large si ce n’est vague de « trans » (Solá, 2015), ce dernier ne l’épuise en rien. Les critiques matérialistes s’atteignent donc que partiellement leur objet en identifiant le transféminisme à un courant queer. Ce dernier ne représente qu’une partie des théories élaborées par et pour les personnes trans dans leurs luttes – partie dont on peut faire l’hypothèse qu’elle a rencontré une audience importante du fait de ce que son approche individuelle, selon le mot d’ordre de prolifération des identités de genre et non de critique du genre, présente le moins de danger pour l’ordre patriarcal et capitaliste libéral. Aux antipodes de cette approche, le transféminisme matérialiste s’est développé parallèlement au mouvement queer. Rejetant une définition queer de la transitude par le ressenti intérieur et individuel, ce matérialisme la définit comme une condition sociale caractérisée par un mouvement de « transfuge de sexe » (Beaubatie, 2017), la transition, ou le besoin de transition. Cette transition n’est par suite pas comprise comme une conversion intérieure, ni un « choix » (Chantal la Nuit, 2018), ni même seulement un vécu, mais comme un processus social, juridique et corporel. Une telle approche matérialiste de la question trans rejoint ainsi le matérialisme en rejetant une approche « psychologique » et « libérale » de la condition et de l’expérience trans et, plus largement, du genre, approche supposant une scission de l’ « intime » et du « manifeste » (Delisle, 2017).En partant de cette définition de la transitude, c’est tout un champ d’étude social qui est ouvert à une approche matérialiste de la question trans. De ce champ d’étude et d’intervention politique, on peut principalement mentionner : l’impact de la transitude sur les positions de classe dans la société, et ainsi l’existence trans dans sa réalité socio-économique (Irving et Lewis, 2017) et l’imbrication des luttes trans dans les luttes de classes (Faye, 2018) ; le croisement de la domination et stigmatisation des personnes trans avec les autres dominations de classe et de race (Currah et Stryker, 2017) et, corollairement, les formes de militantisme trans s’opposant à ces dominations ; l’expérience corporelle trans et ses déterminants sociaux, ainsi que les obstacles qui sont mis à la transition qu’ils soient sociaux, juridiques, médicaux (Espineira, 2011) ou parfois militants (Christy, 2018) ; la socialisation des personnes transgenre (blog « Raymond, reviens », 2015) ; les effets de la transitude sur les définitions du genre et des sexes – cette liste est évidemment ouverte.

Cette journée d’étude se propose de réunir des théoriciennes et/ou militantes travaillant sur des problématiques trans à travers une approche matérialiste, afin d’offrir une première plateforme collective à ce courant dans l’espace francophone. Elle prendra pour objet, d’une part, les approches matérialistes de la question trans et, d’autre part, l’apport qu’un matérialisme trans peut présenter pour le féminisme matérialiste.

Bibliographie

Stacy Alaimo, Susan Hekman (éd.), Material Feminisms, Bloomington et Indianapolis, Indian University Press, 2008.

Emmanuel Beaubatie, « Psychiatres normatifs vs. trans’ subversifs ?Controverse autour des parcours de changement de sexe », Raisons politiques, 2016/2 (n° 62).
_* Transfuges de sexe. Genre, santé et sexualité dans les parcours d’hommes et de femmes trans’ en France, thèse soutenue en 2017.

Talie Mae Bettcher, Susan Stryker (éd.), Trans/Feminisms, TransgenderStudiesQuarterly, vol. 3, issue 1-2, mai 2016.

Blog « Raymond, reviens, t’as oublié tes chiens ! Trans et méchante », https://raymondreviens.wordpress.com/

Kate Bornstein, Gender Outlaws : The Next Generation, New York, Seal Press, 2010.

Judith Butler, Troubles dans le genre. Le féminisme et la subversion de l’identité, Paris, La Découverte, 2005.

  • Rassemblement. Pluralité, performativité et politique, Paris, Fayard, 2016.

Sue Caldwell, « Marxism, Feminism and Transgender Politics », International Socialism, n° 157, décembre 2017.

Chantal la Nuit, « Le mouvement queer, c’est une vraie révolution sociale », Le Petit Bulletin, Lyon, juin 2018.

Nicole-Claude Mathieu, L’anatomie politique, Paris, IXE, 2013.

Pat Califia, Sex Changes : The Politics of Transgenderism, Jersey City, Cleis Press, 1997.

Cassandra Cochin, « Le blog de Koala », http://misskoala.canalblog.com/

Delphine Christy, « Valides et légitimes », blog « Questions trans-féministes », juin 2018.

Paisleh Currah, Susan Stryker (éd.), The Issue of Blackness, Transgendre Studies Quarterly, vol. 4, issue 2, mai 2017.

Circé Delisle, « Autonomie et autodétermination », Assiégé.e.s, mars 2017. Réédition chez Hystériques et associé.e.s, 2018.

Teresa de Lauretis, Théorie queer et cultures populaires : de Foucault à Cronenberg, Paris, La Dispute, 2007.

Christine Delphy, L’ennemi principal, deux tomes, Paris, Syllepse, 2013.

  • « Le féminisme est en recul », Politis, n° 1272, octobre 2013.

Elsa Dorlin (dir.), Sexe, race, classe, pour une épistémologie de la domination, Paris, PUF, 2009.

Alyson Escalante, « How we talk about trans inclusion matters », Medium, 3 mai 2018 (traduction française par Mirza D., « Notre façon de parler de l’inclusion des personnes transgenres est importante, sur le blog Trans Grrrrls).

  • « Rethinking lesbian feminism », Medium, 17 mai 2018 (traduction française par Mirza D., « Repenser le féminisme lesbien » blog Trans Grrrrls).
  • « Marxism and trans liberation », Medium, 12 juillet 2018 (traduction française par N. G., « Marxisme et libération des personnes trans’ », blog Trans Grrrrls).
  • « On women as a class : feminism and mass struggle », Medium, 23 novembre 2018.

Karine Espineira, « Le bouclier thérapeutique : discours et limites d’un appareil de légitimation », Le sujet dans la cité, 2011/1 (n° 2).

  • « Le mouvement trans : un mouvement social communautaire ? », Chimères, 2015/3, (n° 87).

Karine Espineira, Maud-Yeuse Thomas, « Transidentités : se donner un corps. Corps trans, corps transformés », in Christine Delory-Momberger (dir.), Éprouver le corps. Corps appris, corps apprenant, Toulouse, Érès, 2016.

Karine Espineira, Maud-Yeuse Thomas, Arnaud Alessandrin (dir.), La transyclopédie. Tout savoir sur les transidentités, Paris, Des ailes sur un tracteur, 2012.

Shon Faye, « The fight for trans equality must be recognised as a class struggle »,The Guardian, juin 2018.

Leslie Feinberg, Transgender Warriors : Making History from Joan of Arc to Rupaul, Boston, Beacon Press, 1996.

  • Trans Liberation : Beyond Pink or Blue, Boston, Beacon Press, 1999.
  • Stone Butch Blues, traduction par Noomi Grüsig à paraître en 2019 aux éditions Hystériques et associé.e.s.

João Gabriell, « Le blog de João », https://joaogabriell.com/

Jules Joanne Gleeson, « Transition and Abolition. Notes onMarxism and Trans Politics », Viewpoint Magazine, juillet 2017.
Colette Guillaumin, Sexe, race et pratique du pouvoir. L’idée de nature, Paris, IXE, 2016.

Noomi Grüsig, « Transféminisme à la française », Cahiers de la transidentité n° 5, octobre 2015.

  • « Visibilité des femmes trans dans la pop culture : ‘privilège’, vous avez dit ? », Simonæ, décembre 2016.

Dan Irving, Rupert Raj (éd.), Trans Activism in Canada, Toronto, Brown Bear Press, 2014.

Dan Irving, « Trans Politics and Anti-Capitalism »,Upping the Anti, n° 4, avril 2017.

Eve Kosowsky Sedgwick, Épistémologie du placard, Paris, Amsterdam, 2008.

EmiKoyama, « The Transfeminist Manifesto », in Rory Dicker, Alison Pippmeier (éd.), Catching a Wave : Reclaiming Feminism for the Twenty-First Century, Boston, Northeastern University Press, 2003.

Constance Lefebvre, Delphine Christy, « Introduction au transféminisme : une approche matérialiste », blog « Questions trans-féministes », juin 2018.

Sabine Masson, Léo Thiers-Vidal, « Pour un regard féministe matérialiste sur le queer », Mouvements, 2002/2 (n° 20).

Max van Midde, A new materialist approach to transmaculinity. Bodies, acts and objects, mémoire soutenu en 2016.

Henry Rubin, Self-Made Men : Identity and Embodiment among Transsexual Men, Nashville, Vanderbilt University Press, 2003.

Gayle Salamon, Assuming a Body : Transgender and Rhetorics of Materiality, New York, Columbia University Press, 2010.

Julia Serano, Whipping Girl : A Transsexual Woman on Sexism and the Scapegoating of Femininity, New York, Seal Press, 2007. Partiellement traduit par Noomi Grüsig : Manifeste d’une femme trans, Lyon, Tahin Party, 2014.

  • Excluded : Making Feminist and Queer Movements More Inclusive, New York, Seal Press, 2013.

Reese Simpkins, « Trans*feminist Intersections », Transgender Studies Quarterly, vol. 3, issue 1-2, mai 2016.

MiriamSolá, « Le transféminisme et ses transgressions. Introduction au “Manifeste pour une insurrection transféministe” », traduit de l’espagnol par Eva Rodriguez et Karine Espineira, Comment S’en Sortir ?, n° 2, automne 2015.

Dean Spade, Normal Life : Administrative Violence, Critical Trans Politics, and the Limits of Law, New York, South End Press, 2011.

Susan Stryker, The Transgender Studies Reader, deux tomes, Abinddon-on-Thames, Routledge, 2006, 2013.

« L’Empire contre-attaque : un manifeste posttranssexuel », traduit de l’anglais par Kira Ribeiro, Comment S’en Sortir ?, n° 2, automne 2015.

Transgender History : The Roots of Today’s Revolution, New York, Seal Press, 2017.

Paola Tabet, La construction sociale de l’inégalité des sexes. Des outils et des corps, Paris, L’Harmattan, 1998.

La grande arnaque. Sexualité des femmes et échange économico-sexuel, Paris, L’Harmattan, 2004.

Maud-Yeuse Thomas, « De la question trans aux savoirs trans, un itinéraire », Le sujet dans la cité, 2010/1 (n° 1).

Monique Wittig, La pensée straight, Paris, Amsterdam, 2013.

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