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2èmes Journées d’études : « Economie de la peine et de la prison en Afrique » (ECOPPAF)

18 juin 2015 - 19 juin 2015, à l’Institut de géographie - 191, rue Saint Jacques, Paris 5e (RER B Luxembourg)

Salles

18 juin : salle 411 (4e étage)
19 juin : salle 412 (4e étage)

Programme et résumés (version provisoire)

Journée du 19 juin

  • 10h00 : Accueil des participants
  • 10h30 : Ouverture des journées, par Frédéric Le Marcis et Marie Morelle
    point sur le réseau, présentation des participants
    point sur les financements
    enjeux scientifiques des journées
  • 10h30-13h00
    Apparition et construction de la peine de prison comme problème public en Afrique coloniale et postcoloniale
  • 10h30-11h00
    Patrick Awondo
    Les prisons africaines au prisme de la santé : retour sur la construction d’un axe de recherche
  • 11h00-11h30
    Bénédicte Brunet-La-Ruche
    La "boîte" ouverte ou la prison au Dahomey (1894-1945) : d’une sanction impensable à une punition intégrée à la société coloniale

Pause

  • 11h45-12h15
    Yasmine Bouagga
    Une prison plus démocratique ? Controverses, réformes et inerties pénitentiaires dans la Tunisie post-révolutionnaire.
  • 12H15-12H45
    Julia Hornberger
  • 12h45-13h30
    Discussions collectives

13h30-14h30 Pause-déjeuner

  • 14h30-17h30 Ethnographies des lieux d’enfermement : sources, démarches et lieux des enquêtes
  • 14h30-15h00
    Romain Tiquet
    Plaintes de prisonniers et conditions de vie et de travail dans les camps pénaux Sénégalais (1930-1946)
  • 15h00-15h30
    Fernand Bationo
    Du dehors au-dedans : trajectoires, reconstructions identitaires des mineurs en conflit avec la loi au Burkina Faso

Pause café

  • 15h45-16h15
    Lionel Njeukam
    Décrypter la prison au Nigeria : cas de la prison de Benin, dans l’Etat de Edo
  • 16h15-16h45
    Vinh-Kim Nguyen
    Confinement, enfermement, asile
  • 16h45-17h30
    Discussions collectives sur l’après-midi et la journée

Journée du 19 juin

  • 9h30-Economie de la punition, contrôle territorial et rapports à l’Etat
  • 9h30-10h00
    Sabine Planel
    Economie de la punition et construction du contact Etat/société : Gestion de l’endettement paysan dans l’Ethiopie rurale.
  • 10h00-10H30
    Thomas Osmond
    Questionner les alternatives à la réclusion carcérale dans l’Ethiopie contemporaine

Pause café

  • 10h45-11h15
    Marie Morelle
    La production d’un ordre social à Yaoundé. Punition, rapports de pouvoir et territoires urbains.
  • 11h15-11h45
    Christine Deslaurier
    De la distinction politique dans les prisons burundaises : histoire et portée d’une catégorie évasive
  • 11h45-12h15 : discussions collectives

12h15-13h30 : pause déjeuner

  • 13h30- 15h30 Economies des valeurs en prison
  • 13h30-14h00
    Frédéric Le Marcis
    La vie dans un espace de necropolitic. Vers une économie de la valeur.
  • 14h00-14h30
    Sylvain Faye
  • 14h30-15h00
    Nicolas Courtin
    Complicités et petits arrangements entre "amis", prisonniers et gardiens de prison à Madagascar au début du XXe siècle
  • 15h00-15h30 : discussions collectives

Pause-café

  • 15h30-16h30 : synthèse des journées
  • 16h30 : Clôture des journées

Résumés

Patrick Awondo
Les prisons africaines au prisme de la santé : retour sur la construction d’un axe de recherche
Au-delà de la domination des études des prisons par les historiens dans l’espace africain, un des constats majeurs dès lors qu’on se penche sur l’étude des prisons, est celui de la survalorisation des enjeux de santé. Comment cet axe particulier "santé & prison"en est arrivé à éclipser tous les autres axes de recherche sur le continent africain ou du moins dans la mise en discours publique des prisons africaines- sera l’objet de notre communication. cet exercice sous entend de passer en revue l’essentiel des travaux prenant la santé en prison pour objet. De la déclaration de Kampala de 1999 sur la "santé en prison" aux recommandations de l’OMS (2007), en passant par les incursions de la recherche en sciences sociales, il semble que la littérature produite mette d’abord en lumière la prison comme une métaphore du "grand corps" africain malade.

Fernand Bationo
Du dehors au-dedans : trajectoires, reconstructions identitaires des mineurs en conflit avec la loi au Burkina Faso
Les centres de détention ou les prisons sont des « territoires » qui accueillent des individus d’origines sociales diverses. On y retrouve tous les âges et les jeunes sont souvent les plus représentés selon la littérature consacrée au sujet. Le travail que nous menons s’inscrit dans cette dimension générationnelle à travers une lecture socio anthropologique d’un centre de détention pour des mineurs au Burkina Faso. Le centre d’accueil, construit à Laye sur l’initiative de l’Association Pénitentiaire Africaine (APA) à une quarantaine de Km de Ouagadougou en zone rurale, reçoit des mineurs en conflit avec la loi (plus d’une centaine d’enfants), provenant de différentes régions du Burkina Faso et d’origines sociales diverses. Ce travail est une interrogation du « dehors », c’est-à-dire le processus qui a conduit le mineur au « dedans » (au centre de détention). Au-delà des trajectoires de vie (comprendre comment leur expérience directe ou indirecte du dehors a nourri leur trajectoire sociale), les conditions sociohistoriques de la construction du centre, les enjeux sociopolitiques ainsi que les pratiques en milieu carcéral sont explorés.
Mots clefs : Du dehors au dedans-mineurs-Burkina Faso-loi-trajectoires

Bénédicte Brunet-La-Ruche
La "boîte" ouverte ou la prison au Dahomey (1894-1945) : d’une sanction impensable à une punition intégrée à la société coloniale
« C’est ici que tout commence »… Non pas au cœur de la prison, mais devant les tribunaux, et plus en amont au moment de l’arrestation policière. . La prison apparaît comme le chaînon ultime du parcours pénal que j’ai étudié sur le plan historique dans une colonie d’Afrique occidentale française, le Dahomey.
La communication proposée analyse en effet l’emprisonnement au Dahomey comme partie intégrante de cette chaîne pénale, et plus largement de la société coloniale entre 1900 et 1945. Elle souligne combien l’emprisonnement s’impose comme un mode de punition impensé, voire impensable, et pourtant ordinaire et intégré à l’ordre colonial, marquant la construction d’un nouvel imaginaire répressif qui contribue à fixer les contours et les usages du milieu carcéral.
Je montrerai dans un premier temps que la prison devient la peine de plus en plus privilégiée par les tribunaux, parallèlement à la croissance des affaires délictuelles déférées en justice pendant l’entre-deux-guerres. Ce développement de l’emprisonnement judiciaire s’accompagne d’un usage massif de la détention préventive et de l’indigénat. L’enfermement dépasse par ailleurs le cadre des prisons officielles. En déléguant largement leurs pouvoirs de police aux chefs locaux et parfois à des auxiliaires et des colons, les autorités administratives tolèrent l’enfermement officieux tant que sa pratique ne remet pas en cause l’ordre colonial.
L’emprisonnement acquiert une place centrale comme mode de punition mais sans être pensé par les autorités coloniales comme une sanction qui viserait à prévenir de nouveaux crimes ou même exclure le condamné et protéger la société. Je montrerai dans un deuxième temps que la prison qui s’impose sur le terrain est à la fois peu pensée par les théoriciens du droit colonial et toujours considérée comme inadaptée par les administrateurs. Pour la plupart d’entre eux, la criminalité indigène n’est que le reflet d’un état social et psychologique archaïque ; les Africains constituent une masse indifférenciée, relevant d’instances de régulation proprement « indigènes » et inaccessible aux objectifs de réforme morale. Seul le corps doit constituer la cible de la sanction, afin de le punir et de l’employer. Cet imaginaire répressif conduit à justifier l’application parallèle de châtiments corporels et le relatif abandon du milieu carcéral par l’administration . Dans des prisons fonctionnant au moindre coût, le corps emprisonné n’est pas séparé du corps social. Il est un mode de gestion de la société coloniale tant la main d’œuvre pénale constitue un élément déterminant pour son fonctionnement.
Je souhaiterai enfin saisir dans quelle mesure l’horizon irréductible de la prison punitive et utilitaire pour les autorités est contesté mais s’étend et se remodèle au sein de la société dahoméenne. Ce rejet ressort des lettres des familles et des détenus, des recours extra-judiciaires afin d’obtenir une sanction plus satisfaisante que la prison mais aussi des rébellions lors des arrestations et des mouvements continus d’évasions qui bénéficient souvent de la complicité des gardes et des populations.
Bien que fortement contestée comme instrument de domination coloniale, la prison semble pourtant envahir l’imaginaire répressif de la société dahoméenne. Non seulement, l’emprisonnement est employé officieusement mais le principe carcéral est peu dénoncé par l’élite lettrée. Parallèlement, en recourant plus fréquemment à la justice indigène à partir des années 1920, bien que la sanction prévisible soit la prison, les justiciables dahoméens paraissent peu à peu intégrer le carcéral comme un élément incontournable du dispositif répressif. C’est enfin dans le relatif abandon du milieu carcéral que se remodèlent les usages de la prison entre les détenus, les gardes et les populations. Cette situation conduit à installer l’usage social d’un carcéral qui ne peut fonctionner que par le jeu de hiérarchies internes, d’arrangements et d’allers-retours constants entre le dedans et le dehors.

Yasmine Bouagga
Une prison plus démocratique ? Controverses, réformes et inerties pénitentiaires dans la Tunisie post-révolutionnaire
Cette présentation évoque comment les soulèvements de 2011 et la dénonciation de la répression politique ont conduit à une mise en accusation publique de la prison à laquelle ont participé des associations locales, des militants politiques mais aussi des organisations internationales, alors que le régime de transition tentait d’asseoir une légitimité démocratique.
Dans le sillage de ces controverses, plusieurs entreprises réformatrices sont intervenues en vue de rendre l’institution carcérale plus conforme aux principes des droits de l’homme et de l’Etat de droit. Les circulations de standards internationaux et "bonnes pratiques" ont pris une intensité toute particulière.
Pourtant, dans la pratique, les inerties demeurent pesantes, d’autant plus que les pratiques policières et judiciaires qui alimentent l’institution carcérales sont marquées par un retour à la normale répressif, dans un contexte de resserrement sécuritaire.

Nicolas Courtin
Complicités et petits arrangements entre "amis", prisonniers et gardiens de prison à Madagascar au début du XXe siècle
La question se doit d’être posée directement : « une histoire sociale des gardiens de prison en situation coloniale est-elle possible ? ». Les gardiens de prison n’existent pas en tant que corps constitué en AOF et à Madagascar à l’époque coloniale. La garde et la surveillance des prisonniers sont assurées par les corps de gardes de cercle (AOF) et de gardes indigènes (Madagascar) sous l’autorité des administrations coloniales civile et militaire. Au-delà de la lutte « ordinaire » contre les crimes et délits comme une police rurale « ordinaire », une part importante du travail quotidien de ces gardes est de surveiller et de faire travailler les détenus à l’intérieur et à l’extérieur des lieux d’enfermement. Elles sont ainsi une police pénitentiaire, une police de « matons », et de surveillants de chantiers.
Mais, comment écrire de l’intérieur une histoire sociale et culturelle de ces policiers « européens » et indigènes dans la première moitié du XXe siècle ? A partir de quelles sources et pour quelle histoire sociale ? Dans les Archives nationales d’outre-mer à Aix-en-Provence, des listes nominatives existent pour les cadres européens de la garde indigène à Madagascar, pour certaines périodes. Il est ensuite aisé de démarrer une étude à partir des dossiers de carrière de ces policiers européens. Mais, au regard des 2702 gardes européens et indigènes à Madagascar en 1911, quid des 2558 gardes indigènes ? Aucune liste nominative n’a été retrouvée dans les archives.
Qui sont-ils ? D’où viennent-ils ? La question du recrutement de la garde indigène demeure une grande inconnue. Engagement et rengagement volontaire pour un an, recrutement forcé, peu d’informations sont en notre possession sur le recrutement des gardes indigènes. Une extrême fluidité ou porosité existe entre les différents corps habillés du monde martial. Les personnels circulent au gré de leurs affectations, du contexte colonial et de leurs propres trajectoires de vie.
Les gardes indigènes ne peuvent être néanmoins entièrement considérés comme des « inconnus des archives ». Ils n’apparaissent certes pas sous une forme exhaustive et listée au même titre que les personnels européens ; c’est davantage lors de moments où ils sont dénoncés ou gratifiés par les autorités provinciales ou leurs propres supérieurs, qu’ils apparaissent.
Pour étudier le personnel indigène de la garde indigène dans les cadres de la prison, c’est au travers d’une micro-histoire faite d’affaires impliquant des gardes et des prisonniers, de négociations, d’arrangements et d’interactions quotidiennes que nous pouvons donner à voir les gardes et entrevoir leurs rapports avec les autorités coloniales, leurs supérieurs, les populations, etc. C’est ainsi davantage grâce à la dénonciation ou à l’exposition de pratiques répréhensibles que nous pouvons envisager une histoire sociale des gardiens de prison en situation coloniale.

Christine Deslaurier
De la distinction politique dans les prisons burundaises : histoire et portée d’une catégorie évasive
Loin d’être accessoire si l’on considère la pérennité du phénomène et le nombre d’individus concernés aujourd’hui encore, la question des prisonniers politiques au Burundi ouvre des perspectives analytiques qui dépassent le cadre de son interprétation usuelle, souvent confinée à l’image des détentions arbitraires dans les régimes autoritaires, postcoloniaux en particulier. Certes, les militaires arrivés à la tête du pays à la suite de coups d’Etat successifs du milieu des années 1960 au début des années 1990 ont usé du dispositif carcéral pour contrôler ou isoler leurs opposants. Mais leurs régimes n’ont pas forcément été les plus féroces ni les plus consommateurs en la matière – le pouvoir actuel par exemple, démocratiquement élu, adopte davantage ce type de méthodes. En réalité, la catégorie « politique » de l’enfermement a traversé l’histoire burundaise en épousant des formes pratiques et juridiques diverses, depuis la claustration du prince en attente d’un jugement royal dans l’ancien temps monarchique (la seule circonstance d’emprisonnement connue à l’époque précoloniale), jusqu’aux détentions massives à coloration ethnique des années de guerre civile, en passant par la définition légale dans le régime pénitentiaire colonial du détenu « à caractère politique », impliquant un traitement de faveur à son égard.
Dans son évolution, l’assignation au statut « politique » du prisonnier, a souvent – mais pas toujours – été liée à la détention d’un pouvoir d’autorité, et elle a parfois été proprement désignée en droit. Mais elle s’est aussi trouvée adossée à des déterminations extérieures qui ont passablement modifié son périmètre d’application dans le temps comme dans l’espace. Par exemple, dans le contexte de la ségrégation coloniale puis des « crises » ethno-politiques contemporaines, des considérations raciales et ethniques ont présidé à cette qualification et au sort distinct réservé à ceux qui en faisaient l’objet. De même, rang social et pouvoir économique ont, dans la confusion des moyens et des fins, abouti à l’assimilation des lettrés (qu’on disait auparavant « évolués »), des businessmen et des leaders d’opinion dans une classe « VIP » dont les quartiers dédiés dans la prison centrale de Mpimba, à Bujumbura, ne ressemblent en rien aux cachots locaux ou aux cellules partagées des maisons d’arrêt provinciales où sont enfermés aujourd’hui des centaines de militants des partis d’opposition. Des pressions iréniques ou médiatiques ont encore pu agir sur les contours d’une catégorie décidément labile. Ainsi c’est à l’issue d’une visite à Mpimba en 2000 que le président Mandela, symbole s’il en faut du prisonnier politique, a mis à l’agenda des négociations de paix inter-burundaises, qu’il dirigeait alors, le règlement du sort de tous les détenus « politiques » du pays. Dans le cadre d’un conflit aux limites génocidaires diversement établies entre Hutu et Tutsi, sa conception large des infractions concernées (tout crime commis afin de « promouvoir les objectifs [d’une] organisation politique ou [d’une] communauté ») suscita d’intenses controverses. Mais c’est sur cette base, entre autres, que des milliers de libérations intervinrent au milieu des années 2000, pour des individus définis de manière explicite dans les ordonnances d’élargissement du ministère de la Justice comme des « prisonniers politiques ».
Articulée aux transformations du système carcéral depuis un siècle environ, la catégorie politique des prisonniers explicite particulièrement bien les enjeux de pouvoir et les rapports de domination dans la société burundaise, et leurs mutations contemporaines. Y porter attention, surtout lorsque l’on n’a pas accès au « dedans » des prisons, c’est sans doute considérer la pointe élitaire d’un cône pénitentiaire dont les assises, en vérité, sont celles de la pauvreté et de l’illégalisme populaire, pour reprendre les mots de Foucault.
Les souvenirs biographiques ou les témoignages vivaces d’anciens prisonniers politiques, tous intellectuels en général, favorisent d’ailleurs cette lecture par le haut. Mais ce n’est pas que cela. D’abord parce que ces récits, justement, sont bien informés et font la part belle à la description de l’organisation et des hiérarchies en prison, comme si la reproduction (et la conscience) des inégalités sociales s’exacerbait dans sa réduction carcérale. Ensuite parce que les archives burundaises, ou belges pour la période coloniale, et la documentation produite depuis une trentaine d’années par des ONG nationales ou internationales, peuvent compenser, même de manière imparfaite, les lacunes sur certaines crises pénitentiaires à caractère politique (arrestations dans le cadre des violences de 1965, 1972-1973 ou 1988, engorgement des prisons suite au « contentieux de 1993 »…). Enfin parce les mots plus que l’air circulent entre les murs, et au dehors, ce qui fait de la prison un espace où les mouvements d’idées s’infiltrent et dont ils ressortent aussi. Depuis une vingtaine d’années, c’est par le biais des avocats enfermés que le droit atteint les détenus les plus dépourvus face à la justice, par celui des journalistes libérés que les cas les plus désespérés sont médiatisés, par d’anciens détenus que sont animées des associations dédiées aux prisonniers, politiques compris. C’est aussi au cœur du quartier Infirmerie réservé aux « politiques » à Mpimba que se nouent de discrètes solidarités idéologiques et se refait le Burundi tous les jours.

Lionel Njeukam
Décrypter la prison au Nigeria : cas de la prison de Benin, dans l’Etat de Edo (English translation follows)
Pays le plus peuplé et depuis peu première puissance économique du continent africain, le Nigeria s’apparente à ce que Daniel Bach, un spécialiste de la région, qualifie depuis trois décennies de « géant au pieds d’argile »1.
Pour le sujet qui nous intéresse, à savoir la justice pénale au Nigeria, force est de constater que ce domaine relevant du pouvoir d’Etat reste un des parents pauvres de la vie politique nigériane. La situation au Nigeria a été tellement catastrophique depuis son accession à l’indépendance en 1960 qu’au début des années 1980, Akinola T. Aguda prédisait déjà l’agonie du système judiciaire dans son pays2. Aujourd’hui encore, nombreux sont ceux et celles qui gardent une imagine bien peu reluisante du système judiciaire nigérian en général et de son système pénal en particulier. Et pour cause. Procès bâclés, corruption, impunité, prisons délabrées, exécutions sommaires et bien d’autres « anomalies » contribuent à faire dépeindre la situation de manière peu élogieuse. Pourtant, ce ne sont pas les ressources financières et matérielles qui manquent. Le système judiciaire, en lui-même, ne fait pas défaut. La racine du problème de la justice au Nigeria est bien plus complexe et demande qu’on y prête une attention particulière.
Notons que le pays compte actuellement 50 000 avocats et autant de personnes en détention. Parmi ces derniers, une moitié est en attente de jugement et un millier dans le couloir de la mort, tous répartis dans 227 établissements pénitentiaires. Ainsi, le Nigeria a l’un des taux d’incarcération les plus faibles du continent.
S’il paraît exagéré aujourd’hui de parler d’agonie du système pénal, il n’en demeure pas moins vrai que moult problèmes continuent de mettre en péril son équilibre. Pourtant plusieurs dirigeants politiques, aussi bien fédéraux que dans les Etats fédérés, auxquels il faudrait rajouter les nombreux activistes et défenseurs des droits humains présents sur place, n’ont eu de cesse de lutter pour une amélioration de ce système.
Si mon travail de thèse a porté sur une étude sociohistorique de la peine de mort du 19ème siècle à nos jours dans ce pays, dans le cadre du projet ECOPAFF je m’intéresse plus spécifiquement à une meilleure compréhension des caractéristiques socio-anthropologiques des prisons nigérianes. En effet, ces dernières sont devenues, en l’espace d’un siècle, le principal outil répressif du système judiciaire au Nigeria. De fait, la prison joue un rôle social et anthropologique essentiel dans un pays réputé pour l’existence d’une certaine endémie de la violence et de la criminalité.
Notre présentation de la mi-juin consistera à rappeler quelques grands traits du système pénal nigérian, et plus particulièrement des prisons dans ce pays. Ensuite, je présenterai la méthode d’enquête que j’ai adoptée avec des faits illustratifs à partir du travail effectué à la prison centrale de Benin city, dans l’Etat de l’Edo, près du fleuve Niger. Dans la même optique, il s’agira aussi de souligner les difficultés liées à ce terrain d’enquête. Enfin, il importera d’ouvrir la perspective en entrevoyant la manière dont les premiers résultats de cette recherche pourraient s’insérer dans une étude comparative générale avec les autres pays impliqués dans ce programme.
1 Daniel Bach (dir.), Le Nigeria contemporain, Paris : éditions du CNRS, 1986
2 Akinola T. Aguda, The Judiciary in the government of Nigeria, Ibadan, New Horn Press, 1983, p. 71-77

Decrypting prison in Nigeria : case study of Benin City prison, Edo State
Even though Nigeria is the most populous country and has become the first economy of Africa, its still appears to fit the depiction made by Daniel Bach, a specialist of the area, a few years ago : « a giant with feet of clay »3.
With regard to the subject at stake, namely Penal Justice in Nigeria, we have to admit that this sector (under the responsibility of the State) is still often neglected by the political elite. The situation in Nigeria has become so catastrophic since the year of its independence (1960) that in the early 1980’s, Akinola T. Aguda predicted the agony fo the judicial system of his country4. Even today, many people believe that the system is broken and need to be fixed. Sloppy trials, corruption, impunity, wretched prisons, summary executions and many other flaws make people look at justice in Nigeria with skepticism. As a matter of fact, financial and material resources are not the real issue, nor is the system ; the root of the problem is more complex and demands a special attention.
We should remember that there is currently 50 000 lawyers and as many people in detention in Nigeria. Among the latter, half are on waiting trial whereas 1 000 condemned are on death row. All inmates are detained in 227 penitentiaries across the country. Consequently, Nigeria has one of the lowest incarceration rate in Africa.
Although it would be unfair and inaccurate to use the term « agony » to depict the situation of Penal Justice in Nigeria, the reality is that several problems keep on undermining its equilibrium. Nonetheless, many federal and local political leaders, in addition to political activists and human right fighters have never stopped trying to improve the system.
My Ph. D. Thesis focused on a sociohistorical study of death penalty in this country, from the 19th century until now. In the current project I am more interested in better understanding the socio anthropological characteristics of the Prison System in Nigeria. In fact, within a century, the latter has become the main tool of punishment for people convicted by a court of law. As such, prisons play a major social and anthropological role in a country well known for its endemic violence and criminality.
My presentation will target some of the traits characterizing the Nigerian Penal System as a whole, but also prisons in particular. Then, I will present the method of research I have adopted for my fieldwork and I will use illustrative facts deriving from my experience at the prison of Benin City, in Edo State, close to the Niger river. In the same vain, I will underline the difficulties related to my fieldwork. Finally, it will be important to open perspective by looking at the way the premiminary outcome of this particular research could be included in the general comparative study of the countries enclosed in this program.
3 Daniel Bach (dir.), Le Nigeria contemporain, Paris : éditions du CNRS, 1986
4 Akinola T. Aguda, The Judiciary in the government of Nigeria, Ibadan, New Horn Press, 1983, p. 71-77

Marie Morelle
La production d’un ordre social à Yaoundé. Punition, rapports de pouvoir et territoires urbains
Cette intervention s’inscrit dans la lignée d’enquêtes menées depuis 2010 dans la prison centrale de Yaoundé, et d’observations et entretiens conduits auprès de sortants de prison depuis 2014. Aujourd’hui, je souhaite continuer une réflexion sur la définition et sur le rôle de la punition, dans le contrôle des populations et la production d’un ordre social.
Mon intervention a pour objet de présenter mes principales hypothèses de recherches, visant à appréhender la prison dans sa relation avec un environnement urbain. Il est question de comprendre comment le recours à la peine de prison s’articule à des rapports de pouvoirs, au bénéfice de quels acteurs, en lien avec quelles appropriations territoriales. Dans la continuité de mes travaux, je suggère surtout d’approfondir la connaissance des stratégies de contrôle des espaces urbains, des règles en présence (de droit, « coutumières », morales), de leurs interprétations et de leur légitimité, enfin de leur impact dans la structuration des territoires et des pouvoirs urbains locaux. L’objectif est d’éviter une lecture simplifiée des jeux de pouvoirs et structures sociales en ville (ceux qui répriment/ceux qui contestent, le légal/l’illégal, etc.), de saisir les espaces de négociations et les arrangements en présence, de cerner plus largement une économie de la punition, au-delà de la peine de prison, à Yaoundé. Dans quelle mesure doit-on élargir l’appréhension de la punition à l’étude d’un réseau de coercition plus vaste (chefferies, cellules de brigades et de commissariats) ? S’il s’agit de comprendre ce que l’on punit, et comment, l’enjeu est aussi de cerner ce que l’on tolère, en fonction de quelles normes sociales.

Thomas Osmond
Questionner les alternatives à la réclusion carcérale dans l’Ethiopie contemporaine
Comme dans la plupart des pays de la Corne de l’Afrique, les systèmes de justice en Ethiopie restent pluriels et souvent trop peu unifiés, malgré leur institutionnalisation formelle au sein de l’appareil judiciaire légal dans la Constitution fédérale éthiopienne de 1995. La variété des configurations locales, nationales et régionales (du village, district, zone, à la région, l’état fédéral, jusqu’à l’organisation régionale regroupant les sept pays de l’IGAD) révèle la coexistence de divers acteurs impliqués dans des dispositifs judiciaires et sociaux où la nature du droit, des normes, des pratiques et des interactions juridiques demeure très hétéroclite – et encore trop peu étudiée sur le terrain par les chercheurs.
Dans un contexte régional marqué par la politisation des identités culturelles et la multiplication des investissements étrangers, l’étude des interactions entre ces réseaux légaux et judiciaires (des dispositifs judiciaires locaux ‘traditionnels’, aux systèmes de justice étatique fédéral/régionaux) pourrait permettre de limiter le recours aujourd’hui trop systématique à l’enfermement (de la confiscation des biens à l’incarcération individuelle) face aux conflits fonciers, aux dynamiques migratoires ou encore aux tensions liées à l’accès et l’usage des ressources naturelles.

Sabine Planel
Economie de la punition et construction du contact Etat/société : Gestion de l’endettement paysan dans l’Ethiopie rurale
L’étude propose une économie politique et morale des dettiers, paysans éthiopiens endettés dans le cadre du processus de modernisation agricole conduit par l’Etat depuis le Derg. L’étude porte sur deux régions, le Wolayta une périphérie bien intégré à l’espace éthiopien et ayant expérimentée très précocement la modernisation agricole et le Tigray, centre culturel et politique de l’Ethiopie.
Dans une démarche d’anatomie du politique, l’analyse souhaite interroger le rôle de la punition (de ses acteurs, de ses institutions, de ses pratiques) dans l’élaboration d’un dispositif de contrôle. Situé à l’interface locale entre l’appareil d’Etat et ses administrés, ce dispositif de contrôle se constitue d’une pluralité d’institution, d’acteurs et de pratiques exerçant une domination grandissante sur le monde paysan. L’étude considère plus spécifiquement une situation très marquée par la servitude paysanne à mesure que les enjeux financiers liés au non recouvrement de la dette augmentent, il s’agit de la gestion publique de l’endettement paysan résultant de la mise en œuvre des politiques de modernisation agricole (dite dette de l’engrais).
Dans ce contexte, la punition relève le plus souvent de l’enfermement (punitif ou préventif) et de la saisie des biens et plus rarement de l’emprisonnement proprement dit. Cette étude observe combien « l’élargissement », la complexification de cette l’interface Etat/société loin de renforcer des pratiques démocratiques multiplie les situations de dépendance et par là-même renforce les dispositifs autoritaires. La gestion de la peine révèle particulièrement l’ambigüité de cet espace politique marqué à la fois par la servitude mais également par l’existence d’opportunités politiques, où les places de chacun (à l’exception des paysans les plus vulnérables) sont amenées à changer. Entre une compréhension moderne de la peine, caractérisée par l’enfermement et/ou le jugement judiciaire, et une intelligence plus coutumière davantage caractérisée par de l’intercession sociale, les pratiques locales (et notamment celles des acteurs publiques) témoignent d’une inventivité renouvelée. De même, les contournements de la loi (contrebande, corruption et détournements de fonds), son inaboutissement dans certains cas favorisent la variabilité des stratégies d’adaptations.
Il apparait alors qu’en dépit des apparences, l’arbitraire a peu sa place dans la construction et la distribution de la peine, mais qu’au contraire cette dernière résulte d’une adaptation fine à la domination d’Etat que subissent certes les paysans, mais plus encore les petits acteurs publics. Leur gestion pragmatique de la peine s’inscrit dans une lecture scalaire de la domination et donne à voir la construction locale d’un dispositif de contrôle.

Romain Tiquet
Plaintes de prisonniers et conditions de vie et de travail dans les camps pénaux Sénégalais (1930-1946)
Il s’agit de porter un nouveau regard sur l’enfermement en situation coloniale à travers un corpus de lettres écrites par ou pour les prisonniers afin de dénoncer les conditions de vie et de travail dans les camps pénaux de travail sénégalais. La réception de ces lettres par le gouverneur du Sénégal, au delà de la censure qu’il est censé y avoir au sein des camps pénaux, pose plus largement la question de la porosité des murs de la prison, des complicités à l’intérieur et à l’extérieur des camps pénaux et de l’incapacité du pouvoir colonial à surveiller ces lieux d’enfermement.

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