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Journée d’étude organisée par Renaud Payre et Anne Verjus : Existe-t-il un vote féminin ? Retour sur un objet polémique (XIXème- XXème siècles)

27 juin 2008, à 9h, à l’IEP de Lyon, petit amphithéâtre
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Organisation

Présentation

Cette journée d’études souhaite interroger l’objet « vote féminin » à la fois en se penchant sur son historicité et sur sa place dans les analyses de science politique.

Ce vote a une histoire singulière qui se caractérise en grande partie par celle de son absence : de nombreux travaux ont en effet, depuis une vingtaine d’années, porté l’attention de la communauté scientifique sur l’exclusion des femmes du droit de suffrage au moment des Révolutions des XVIIIème et XIXème siècles (Landes, 1988 ; Fraisse, 1989 ; Azimi, 1991), leur lutte souvent vaine pour l’égalité des droits, (Moses, 1984 ; Riot-Sarcey, 1994 ; Walton, 1994) ou sur un mouvement suffragiste constamment mis en échec par le Sénat français de la IIIème République [Hause et Kenney, 1984 ; Klejman et Rochefort, 1994 ; Bard, 1995]. De ces différentes modalités de l’exclusion politique des femmes, l’historiographie est peu à peu passée aux conditions de leur « intégration » au politique (Cohen et Thébaud, 1997 ; Corbin, Lalouette et Riot-Sarcey, 1997) ; puis, au-delà de l’alternative entre « qui vote » et « qui ne vote pas », aux conditions intellectuelles et sociales dans lesquelles ont été pensées, à l’époque révolutionnaire, leur représentation et leur situation politiques (Verjus, 2002 ; Heuer, 2005) ; enfin, plus récemment, aux formes que revêt leur participation active, officielle ou non, aux campagnes électorales « masculines » (Della Sudda, 2007 ; Dompnier, 2008) ou, plus largement, à la consolidation de l’ordre social post-révolutionnaire (Davidson, 2007).

C’est dans cette dernière perspective que se situe ce colloque qui, dans sa partie historienne, souhaite interroger l’histoire du vote féminin sous cet angle encore peu exploré de la présence des femmes, de leurs apprentissages électoraux et de leur participation aux processus de la décision politique avant l’accès, en 1944, au droit de vote proprement dit.

Le vote féminin est aussi un objet de science politique ; comme tel, il a été analysé dès 1955 par de jeunes politologues (M. Duverger, 1955 ; J. Narbonne et M. Dogan, 1955) sous l’impulsion, il est vrai, des Nations Unies ; il a été aussitôt abandonné, et pour longtemps puisqu’il faut attendre 1983 pour que paraisse l’Enquête sur les femmes et la politique en France (J. Mossuz-Lavau et M. Sineau) ; l’objet, pour diverses raisons, n’acquiert pas la même légitimité que d’autres catégories telles que la religion ou la classe sociale, si bien que les études sur le vote des femmes restent largement en dehors du champ, pourtant large et long, de la sociologie électorale (Gaspard, 2002). Les études féministes elles-mêmes se sont détournées de la question, aux abords des années 1970, au motif que l’éventuelle mise en évidence d’un vote féminin servirait la thèse, hautement indésirable, d’une naturalisation de la catégorie. Ce n’est que par l’intermédiaire des Gender Studies (Sapiro, 1981 ; McDonagh, 2002 ; Tremblay, 2008) puis, plus récemment pour la France, par l’entremise de la loi française sur la parité, qu’a été reposée puis renouvelée la question d’une éventuelle spécificité électorale des femmes (Achin, 2005 ; Achin et al., 2007) et de leurs intérêts politiques. Toutefois, si spécificité il y a, elle ne se pose, dans ces ouvrages, que sous l’angle des déficits de la représentation des femmes au Parlement. N’est guère abordée, en revanche, celle de leur comportement électoral. Or, des travaux de sociologie politique ont, en Suisse et aux Etats Unis, mis en avant des éléments tendant à démontrer leur spécificité dans ce domaine (Erikson et Goldthorpe, 1992 ; Wernli, 2006). C’est à cet aspect trop méconnu de la sociologie électorale et des études de science politique que nous voudrions consacrer la deuxième partie de ce colloque. Le vote des femmes est-il un objet singulier ? Les facteurs explicatifs de ce vote sont-ils à chercher du côté des rapports conjugaux ? Comment une analyse en termes de classes sociales a-t-elle pu désingulariser l’objet « vote féminin » ? Comment le « gender gap » a-t-il été pensé par la science politique française ?

Lors de cette journée qui fera discuter, ce n’est pas si courant, des historiens et des politologues, l’objet « vote des femmes » trouvera les conditions d’un renouvellement du regard que les deux communautés scientifiques, en France au moins, portent (ou ne portent guère) sur lui.

Programme

Matinée : De la participation au vote

  • Denise Z. Davidson (Georgia State University) : « Les femmes dans l’espace public lyonnais 1800-1830 »
  • Nathalie Dompnier (Triangle, Université de Lyon) : « Voter avant le droit de vote »
  • Magali Della Sudda (Ehess) : « Une citoyenneté sans le vote ? l’activité politique féminine conservatrice avant le droit de su !rage en France et en Italie »

Après-midi : Le "vote féminin", retour sur un objet polémique

  • Anne Verjus (Cnrs, Triangle, Université de Lyon) : « Le vote des femmes, un vote conjugal ? Les premières analyses politologiques du comportement
    électoral féminin (1955-1965) »
  • Sandrine Lévêque (CRPS, Université de Paris1) : « Sur le gender gap » (titre provisoire)
  • Boris Wernli (Université de Neuchâtel) : « Homo- et hétérogamie dans les attitudes et le comportement politique en Suisse »

Bibliographie citée :

ACHIN Catherine, 2005, « Le mystère de la chambre basse ». Comparaison des processus d’entrée des femmes au Parlement, France-Allemagne, 1945-2000, Paris, Dalloz.

ACHIN, BARGEL, DULONG et al., 2007, Sexes, genre et politique, Paris, Economica.

AZIMI Vida, 1991, “L’”exhérédation politique” de la femme par la Révolution”, Revue historique de droit français et étranger, 69 (2), avril-juin.

BARD Christine, 1995, Les filles de Marianne. Histoire des féminismes 1914-1940, Paris.

COHEN Yolande et Françoise THEBAUD (sous la direction de), 1997, Les processus d’intégration des femmes au politique. Féminismes et cultures nationales, Lyon, Programme Rhône-Alpes Recherches en Sciences humaines.

CORBIN Alain, Jacqueline LALOUETTE et Michèle RIOT-SARCEY (sous la direction de), 1997, Les femmes dans la cité au XIXe siècle, Paris, Créaphis.

DAVIDSON Denise Z., 2007, France after Revolution : Urban Life, Gender, and the New Social Order, Cambridge, Mass. : Harvard University Press.

DOMPNIER Nathalie, 2008, « Le suffrage universel masculin au féminin. Catégories de pensée et d’action en politique : du statut juridique au statut social », en cours de correction pour la revue Genèses.

ERIKSON Robert et GOLDTHORPE John, 1992, « Individual or Family ? Results from Two Approaches to Class Assignment”, in Acta Sociologica, n° 35, pp. 95-105.

FRAISSE Geneviève, 1989, Muse de la raison, la démocratie exclusive et la différence des sexes, Aix en Provence, Alinéa (réédition complétée, Folio Gallimard, 1995).

GASPARD Françoise, 2002, « Les travaux sur le vote et l’éligibilité. La situation française », Colloque AFSP, atelier « Genre et politique », 30 et 31 mai.

GODINEAU Dominique, 1988, Citoyennes tricoteuses. Les femmes du peuple à Paris pendant la Révolution française, Aix en Provence, Alinéa.

HAUSE Steven C. et KENNEY Anne R., 1984, Women’s suffrage and social politics in the French Third Republic, Princeton, Princeton University Press.

HEUER Jennifer Ngaire, 2005, The Family and the Nation. Gender and Citizenship in Revolutionary France, 1789-1830, Cornell University Press.

KLEJMAN Laurence et Florence ROCHEFORT, 1989, L’égalité en marche. Le féminisme sous la Troisième République, Paris, Presses FNSP/des femmes.

LANDES Joan, 1988, Women and the Public Sphere in the Age of the French Revolution, Ithaca, Cornell University Press.

MCDONAGH Eileen, 2002, “Political Citizenship and Democratization : The Gender Pararox”, in The American Political Science Review, vol. 96, n°3, September.

MOSES Claire Goldberg, 1984, French Feminism in the Nineteenth Century, State University of New York Press.

RIOT-SARCEY Michèle, 1994, La démocratie à l’épreuve des femmes. Trois figures critiques du pouvoir 1830-1848, Paris, Albin Michel.

SAPIRO Virginia, 1981, “Research Frontier Essay ; When Are Interests Interesting ? The Problem of Political Representation of Women”, in The American Political Science Review, vol. 75, n° 3, September.

TREMBLAY Manon (ed.), 2008, Women and Legislative Representation. Electoral Systems, Political Parties, and Sex Quotas, Palgrave, Macmillan.

VERJUS Anne, 2002, Le Cens de la famille. Les femmes et le vote, 1789-1848, Paris, Belin.

WALTON Whitney, 1994, “Writing the 1848 Revolution : Politics, Gender, and Feminism in the Works of French Women of Letters”, in French Historical Studies, Vol. 18, No. 4 (Autumn), pp. 1001-1024.

WERNLI Boris, 2006, “Homo- et hétérogamie dans les attitudes et le comportement politique en Suisse”, in Revue Suisse de Science Politique, vol. 12, issue 1, spring.

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