Présentation
Ce nouveau chantier transversal correspond à une volonté de croisement des perspectives disciplinaires au sein du laboratoire sur un objet – le travail - investi de différentes manières dans des recherches individuelles et collectives ; cela résulte aussi de coopérations ponctuelles (participation croisée à des séminaires, journées d’études) qui se sont déroulées ces dernières années.
Plusieurs options centrales motivent cette démarche :
- comparer dans le temps – comment les mêmes catégories recouvrent des réalités différentes, ou comment des catégories qui nous paraissent marquer le très contemporain (la forme de l’auto-entreprenariat par exemple) méritent d’être revisitées à l’aune d’expériences passées ;
- comparer dans l’espace, entre sociétés du Nord et du Sud, entre les « Nord » et les « Sud ».
- affirmer la dimension politique du travail, comme lieu de socialisation tout d’abord, comme lieu de production de richesses, de savoirs, mais aussi comme lieu de production d’inégalités sociales et lieu de gouvernement des conduites.
- interroger les dimensions locale, internationale et transnationale du travail – et leur agencement- pour appréhender la complexité de mondialisations hégémoniques et non-hégémoniques. Comment des formes alternatives de mise au travail, d’organisation de la production, mais également de circulation des biens et des marchandises ont-été pensées et continuent à l’être ? Quel est le rôle des diverses formes de résistances et de mobilisations des travailleurs dans les processus de redéfinition en acte des rapports sociaux au travail dans différents contextes sociétaux ?
Le chantier regroupe des économistes, des historiens, des sociologues et des politistes, avec l’objectif de déployer une approche transdisciplinaire et comparative (dans le temps et dans l’espace) dans l’ensemble des domaines investis. Il apparaît ainsi comme un prolongement de thématiques abordées au cours des contrats précédents au sein du pôle Économie (Histoires, institutions, sociétés), du pôle Politisation et Participation, du LIA Post-Western Sociology in China et in Europe. Il entre en forte résonance avec la participation de Triangle, via l’Université Lyon 2, au GIS-Travail.
Axe 1. Travail, mobilités et migrations
Le contrôle de la mobilité des travailleurs, à l’échelle régionale, nationale et internationale est un enjeu ancien aussi bien du côté des employeurs que du mouvement ouvrier. Dans un contexte d’intensification des circulations des mobilités et des migrations s’impose la nécessité de (re) penser le rapport travail et migration.
Dans une diversité de contextes sociétaux la figure du migrant (te) apparaît comme un analyseur des phénomènes de précarisation salariale, de démultiplication des formes de travail, de discrimination sexuelle et raciste au travail. Les migrations internationales et les migrations internes favorisent de nouvelles micro- et macro-segmentations et fragmentations des marchés du travail tant en Europe qu’en Asie ou sur d’autres continents et où ne cessent de se démultiplier les inégalités.
Dans les sociétés asiatique, européenne, africaine, latino-américaine caractérisées par la flexibilité et l’instabilité du travail, des tendances structurelles ont produit des systèmes d’emploi qui renforcent les inégalités sociales où les moins qualifiés, notamment les migrants, sont régulièrement exclus des marchés du travail et relégués dans des espaces de faible légitimité. Les processus de ségrégation, de mise à distance, de stigmatisation des travailleurs(ses) migrants( tes), qualifiés et peu qualifiés produisent des violences, des inégalités toujours plus grandes entre des « ayant-droits » et des « non ayant-droits ».
Les mondialisations économiques rendent compte alors de la construction d’une nouvelle stratification sociale globalisée où se forment de nouvelles classes moyennes, des « élites » économiques, scientifiques, artistiques et de nouvelles underclasses. Les travailleurs (ses) migrants (tes) développent des parcours biographiques faits de bifurcations, de discontinuités et de réversibilités qui rendent compte de la production d’inégalités multisituées sur des espaces de travail nationaux et transnationaux. Les villes d’Asie, du Moyen-Orient, les villes africaines et du Maghreb, etc., sont traversées aujourd’hui par de grandes transformations économiques qui marquent toujours plus les frontières sociales, morales et symboliques entre différents groupes sociaux. Naissent alors des espaces « sous tension » où circulent des migrants, acteurs individuels et collectifs producteurs de compétences de mobilisation, de réflexivité, de résistance.
Axe 2. Travail, individuation, reconnaissances
Nous sommes entrés dans une nouvelle ère de capitalismes où les individus les mieux nantis en ressources et en biens sont devenus de moins en moins nombreux et les moins nantis de plus en plus nombreux, de moins en moins couverts par les systèmes de protection sociale. Si la modernité organisée se caractérisait par des processus d’inclusion d’une large partie des individus dans des collectifs qui leur donnaient un statut stable, depuis trente ans nous avons assisté à une dynamique de décollectivisation ou de ré-individualisation, comme le droit à l’emploi de plus en plus individualisé.
Chômage de masse, institutionnalisation du précariat, pulvérisation du contrat de travail, précarisation des relations de travail et d’emploi, déclin et recomposition des institutions, montrent que les acteurs sont contraints sans cesse de redéfinir leur place et leur identité sociale dans des contextes incertains. Et se pose de manière cruciale la question de la propriété et de la perte de soi. Plus les travailleurs en situation précaire circulent entre des espaces économiques et sociaux contrastés par leur degré de légitimité, plus ils sont confrontés à des ordres normatifs différents, ils sont alors tantôt reconnus, non reconnus, méconnus.
C’est autour de biens sociaux et moraux, respect social et respect de soi, estime sociale et estime de soi dans le travail que se réorganisent de manière brouillée les concurrences et les inégalités sociales et ethniques sur les marchés de l’emploi. Des luttes et des compétitions entre différents groupes sociaux ont lieu pour accéder à une autonomie morale non contrôlée par autrui, pour accéder au gouvernement d’eux-mêmes.
Axe 3. Transformations du capitalisme, des entreprises et de la représentation au travail
La montée en puissance du capitalisme financier depuis le dernier tiers du XXe siècle s’est traduite dans la reconfiguration des formes d’entreprises (recours accru à la filialisation et à la sous-traitance), mais également des formes d’emploi (avec la multiplication des statuts précaires ainsi que le rejet hors des frontières du salariat des auto-entrepreneurs) ; par de nouvelles divisions du travail à l’échelle mondiale que permet de saisir la reconstitution des chaînes de valeur. La volatilité du capital financier, l’importance des réseaux de sous-traitance comme l’usage par les groupes de franchises complexifient du côté des salariés l’identification du pouvoir au sein de l’entreprise ainsi que l’affirmation d’une communauté de travail qui dépasse les frontières juridiques de celle-ci.
L’affaiblissement des droits collectifs et la précarisation des statuts contribuent d’autant plus à vider de leur substance les espaces institués de consultation et de négociation que ceux-ci sont profondément transformés. En France, les ordonnances Macron de septembre 2017 ont instauré une nouvelle instance, le Comité Économique et social (CSE), qui remplace l’ensemble des institutions représentatives existantes et qui pourrait accentuer plus encore, dans les années à venir, les phénomènes de professionnalisation de l’action syndicale. De nombreux défis sont ainsi posés, qui ne sont pas sans rappeler ceux affrontés par le mouvement ouvrier au cours du XIXe siècle : la construction de solidarités et de formes d’action dans des entreprises privées de toute représentation syndicale, voire entre travailleurs isolés qui exercent la même activité mais dont les employeurs peuvent être différents (associations, collectivités territoriales, entreprises, etc.), l’adossement de cette production de solidarités au territoire (celui de la métropole, celui péri-urbain des PME-PMI, etc.).
Axe 4. Diversité des mobilisations
Dans ce contexte de profonde transformation des formes d’emploi, du droit du travail et des formes des entreprises, qu’en est-il des dynamiques collectives de revendication et d’organisation ? Les luttes axées sur la thématique du niveau de vie se sont-elles en partie déplacées en dehors des entreprises comme semble le montrer le mouvement des gilets jaunes ? Est-ce le résultat d’une très faible implantation du syndicalisme français dans les entreprises privées de petite et moyenne taille ? Des phénomènes comparables peuvent-ils s’observer dans d’autres pays avec l’émergence de collectifs de travailleurs tels les livreurs à vélo – parfois situés aux marges du salariat, comme les auto-entrepreneurs - mobilisés en dehors des canaux syndicaux ? Ces interrogations renvoient également aux difficultés rencontrées par les syndicats mais également les associations pour organiser les chômeurs et les doter de formes de représentations collectives. Assignés à un rôle très codifié au sein des instances représentatives du personnel, les syndicats se saisissent-ils d’autres enjeux ? Qu’en est-il des stratégies de redéploiement syndical, en direction des travailleurs précaires, menées parfois en lien avec des associations ?
Ces questions méritent d’être posées de façon comparative et en faisant varier les lieux d’observation afin de rendre compte également des dynamiques de conflits collectifs dans les pays du Nord et du Sud. Comment se construisent concrètement, et lorsque c’est le cas, des solidarités entre travailleurs de différents pays engagés sur la même chaîne de valeur pour une multinationale ? Nous chercherons également à interroger l’évolution du répertoire d’action mobilisé dans différents secteurs par les travailleurs : importance prise par les manifestations au détriment de la grève sur le lieu de travail, occupations de nœuds névralgique pour la circulation des marchandises, recours - au contraire - à la grève par des travailleurs peu familiers de ces pratiques avec des processus de socialisation et d’appropriation de cette pratique contestataire, revendications d’autres formes de participation dans l’entreprise. Ces questions méritent d’être posées d façon comparative. En faisant varier les temps, et en s’intéressant par exemple à la genèse de formes de mobilisations inédites au 19e siècle dans un contexte non alors stabilisé par l’État-Providence et en période de première déferlante libérale. Et en faisant varier les lieux, etc.
Groupe de recherche autour de l’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD)
Présentation
En 2022, s’est constitué au sein de Triangle un groupe de travail s’intéressant à Territoires zéro chômeur de longue durée. Actuellement composé de sept membres, politistes, économistes, spécialistes de l’aménagement et de l’urbanisme, il est ouvert à tout.e chercheur.euse de Triangle s’intéressant à Territoires zéro chômeur et plus généralement aux politiques de l’emploi et aux transformations de l’action publique.
Au travers de l’exemple de Territoires zéro chômeur, nous nous intéressons plus largement à la question de la garantie d’emploi que nous lions à celle du gouvernement par l’expérimentation. Ces sujets ne peuvent pas être abordés sans une analyse du modèle socio-économique du programme tant au niveau national (logique d’activation des dépenses passives) qu’au niveau local (logique d’hybridation des ressources des EBE). Ils dépendent en outre transversalement des relations qu’entretiennent les différents niveaux impliqués dans l’expérimentation (du local au national) qui semblent s’apparenter à une forme de gouvernance multiniveaux. C’est pourquoi, nous regroupons nos préoccupations autour de la question suivante :
TZCLD, une expérimentation/évaluation multiniveaux préfigurant une garantie d’emploi territorialisée ?
Notre recherche a vocation à s’inscrire dans la durée (au moins trois ans) dans un partenariat étroit avec nos terrains d’enquête (territoires TZCLD de la Métropole de Lyon et du Pays Nivernais Morvan). Nous adoptons une approche pluridisciplinaire en croisant des préoccupations issues de la science économique et de la science politique. Enfin, notre collectif s’insère dans la politique de recherche de Triangle et dans la structuration des réseaux nationaux de chercheur.euse.s s’intéressant à TZCLD.
> En savoir + (télécharger la présentation détaillée du groupe de recherche - oct. 2023)
Composition du groupe
- Laure Bazzoli, MCF en économie à l’Université de Lyon 2 et chercheuse à Triangle
- Sylvain Celle, docteur en économie, qualifié aux fonctions de MCF (CNU 05), chercheur postdoctoral à la Chaire ESS de Lyon et chercheur associé à Triangle
- Henri Jacot, professeur honoraire d’économie à l’Université de Lyon 2 et chercheur associé à Triangle
- Loïck Legreneur, doctorant en science politique à l’Université de Lyon 2 sous la direction de Gwenola Le Naour (Triangle)
- Rachel Linossier, MCF en aménagement et urbanisme à l’Université Lumière Lyon 2, Institut d’urbanisme de Lyon, chercheuse à Triangle
- Hélène Monnet, doctorante en science politique à Sciences Po Lyon sous la direction de Gwenola Le Naour (Triangle)
- Aubin Tantot, doctorant en science politique sous la direction de Renaud Payre (Triangle) et Jean-Marie Pillon (Irisso), salarié en Cifre au sein du Pays Nivernais Morvan collectivité qui accompagne quatre territoires zéro chômeur habilités.
Contacts
Publications
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