Nathanaël Colin-Jaeger soutient sa thèse de philosophie politique intitulée « Gouverner par les règles : pensée politique et juridique néolibérale. Hayek, Lippmann, Buchanan, Posner » |
Nathanaël Colin-Jaeger est doctorant en philosophie politique à l’ENS de Lyon, sous la direction d’Arnaud Milanese (dir. principal) et Claude Gautier (co-encadrant).
Annonce de soutenance (site de l’ENS de Lyon)
Résumé de la thèse
Cette thèse examine la philosophie politique et juridique néolibérale, à travers le concept de règle, en s’appuyant particulièrement sur les contributions de quatre auteurs : Walter Lippmann, Friedrich Hayek, James Buchanan et Richard Posner. Ces travaux sont reliés par un même problème, développé au cours des années 1930-1940 – moment de reconstruction du libéralisme, pensé comme une troisième voie entre celle de la planification économique et celle du laisser-faire –, à savoir celui de la justification et de l’élaboration des conditions institutionnelles à même de permettre à une société de marché de s’épanouir.
Ce faisant, les néolibéraux doivent affronter trois difficultés relatives à cette problématisation séminale. Tout d’abord, il leur faut traiter de la question normative de la justification des règles du jeu. En refusant la perspective naturaliste sous-jacente au laisser-faire, et par ailleurs tout fondement transcendantal à l’ordre social, les néolibéraux sont amenés à proposer une série d’arguments relatifs à la défense d’une société de marché bien organisée. Ensuite, ces réponses impliquent une seconde question, relative à l’impossibilité d’énoncer les règles du jeu depuis un point de vue épistémiquement valorisé. Les néolibéraux ont, en effet et dès le départ, critiqué la planification socialiste en ce qu’elle se prévalait d’un privilège épistémique indu. Comment, dès lors, concilier la critique épistémique qui sous-tend la défense du marché comme agrégateur, transmetteur et découvreur d’information avec la nécessité d’une forme d’interventionnisme institutionnel ? Enfin, la thèse d’un gouvernement par les règles du jeu, leur énonciation et leur modification, suppose une théorie du droit, à même de penser la forme que doivent prendre les règles, ainsi que les processus de modification de celles-ci.
Je montre que les thèses des différents auteurs de mon corpus sont traversées par ces problèmes, qui constituent également une clef d’interprétation de leurs théories. Je distingue, ainsi, deux grands moments, à savoir un premier temps de formation de la problématique néolibérale, en puisant dans les travaux historiques récents portant sur la constitution du néolibéralisme – en m’appuyant particulièrement sur les travaux de Lippmann et du premier Hayek –, puis je montre, dans un second temps, comment ce problème traverse les positions plus récentes d’auteurs participant de la même réflexion sur la manière de justifier les règles du jeu d’une société libérale – le second Hayek, les travaux de l’économiste Buchanan et du juriste Posner. Je montre, pour chacun, que les problèmes structurants du néolibéralisme sont reconduits, et permettent une critique interne des positions de ces auteurs, tout en soulignant l’intérêt de penser à partir de leurs problèmes.
Cette thèse entend donc contribuer non seulement à clarifier la philosophie politique et juridique néolibérale comme une thèse portant sur le gouvernement par les règles en vue d’établir une planification libérale légitime, mais aussi à montrer l’importance de prendre en compte ces positions pour informer nos élaborations théoriques contemporaines, puisque les diagnostics néolibéraux constituent autant de manière d’interroger le bestiaire conceptuel de ces théories. Paradoxalement, les positions néolibérales peuvent donc constituer des ressources pour des positions alternatives, ne défendant pas les mêmes conclusions.
Abstract
This thesis examines neoliberal political and legal philosophy, focusing on the concept of rule, drawing particularly on the contributions of four major contributors : Walter Lippmann, Friedrich Hayek, James Buchanan, and Richard Posner. Their contributions encounter the same problem, which emerged in the 1930s and 1940s when liberalism was being reconstructed as a third way between economic planning and laissez-faire, justifying and developing the institutional conditions that would allow a market society to thrive.
In doing so, neoliberals face three challenges with this seminal problematization. First, they must deal with the normative question of how to justify the game’s rules. By rejecting the naturalistic perspective that underlies laissez-faire, and any transcendental basis for social order, neoliberals are compelled to offer a series of arguments supporting a well-organized market society. These answers imply a second question relating to the impossibility of stating the game’s rules from an epistemically valued point of view. Neoliberals have criticized socialist planning from the outset in that it took advantage of an undue epistemic privilege. How, then, to reconcile the epistemic critique that underlies the defense of the market as an aggregator, transmitter, and discoverer of information with the need for some form of institutional interventionism ? Finally, the thesis of a government by the rules of the game, their enunciation, and their modification presuppose a theory of law capable of thinking about the form that the rules should take and the processes of modification of these rules.
I show that the theses of the different authors of my corpus are crossed by these problems, which also constitute a key to the interpretation of their theories. I thus distinguish two central moments, namely a first period of formation of the neoliberal problematic, drawing on recent historical works on the constitution of neoliberalism – relying in particular on the works of Lippmann and the first Hayek –, then I show, in a second period, how this problem crosses the more recent positions of authors participating in the exact reflection on the way to justify the rules of the game of liberal society – the second Hayek, the works of the economist Buchanan and the jurist Posner. I show, for each of them, that the structuring problems of neoliberalism are renewed and allow an internal critique of these authors’ positions while underlining the interest in thinking from their problems.
This thesis intends to contribute not only to clarifying neoliberal political and legal philosophy as a thesis about government by rules in order to establish legitimate liberal planning but also to show the importance of taking these positions into account in order to inform our contemporary theoretical elaborations since neoliberal diagnoses constitute so many ways of interrogating the conceptual bestiary of these theories. Paradoxically, neoliberal positions can thus constitute resources for alternative positions, not defending the same conclusions.