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/ Colloques - journées d’étudeSéminaire d’ouverture de l’IAL (International Advanced Laboratory, ENS Lyon/ Académie des Sciences Sociales de Chine : Post-Western Sociology in Europe and in China) : Inventer la société chinoisejeudi, 14 janvier 2021 |
Comment penser la théorie de l’agency en Chine ? Développée en occident, celle-ci suppose que les individus ont des capacités d’action à la fois sur leurs propres vies, à la fois sur l’organisation de la société ou du morceau de société auxquels ils appartiennent. Face à cet acteur capable « d’inventer la société » se trouvent les structures et les effets qu’elles portent à la fois sur les individus, à la fois sur la société. Ces structures et leurs articulations complexes portent le système qui organise une société dans laquelle évoluent les individus. En France, on peut considérer que les structures prennent des formes plus ou moins formelles allant de l’institution à la société civile. Ainsi, les acteurs ont en France le pouvoir d’agir sur les structures, ces dernières produisant même parfois les conditions de leurs modifications. Alors comment intégrer la théorie de l’agency en contexte chinois, non démocratique et autoritaire ? Les structures qui portent et organisent la société chinoise ne sont pas les mêmes qu’en France. Si inventer la société française est un exercice complexe mais possible, que fautil à un individu ou un groupe pour inventer la société chinoise1 ? Pour comprendre comment 1 Nous récupérons ici l’expression « inventer la société chinoise », sans pour autant affirmer qu’un acteur ou un groupe d’acteurs modifient la société dans son ensemble. Ce que nous retenons dans « inventer la société chinoise », c’est la capacité des acteurs à modifier leurs environnements sociaux par leurs actions, la capacité 4 les individus peuvent agir sur leur vie ou le social en Chine, il faut saisir l’organisation de sa société et connaître les modalités à travers lesquelles des actions sociales peuvent être menées. Le caractère instable des modalités d’un engagement politique force l’acteur à une réflexivité développée et une connaissance précise des règles. Etudier les conditions d’invention de la société chinoise nous oblige à nous placer sur le terrain de nos enquêtés, pour comprendre leur réalité sociale, les structures qui pèsent sur celle-ci et la manière dont ces acteurs parviennent à composer dans ce contexte d’inscription. Ainsi, c’est contre la structure ou contre les effets jugés indésirables de cette dernière que peuvent être élaborées des stratégies individuelles ou collectives de mise à distance, d’évitement ou de contestation. A Canton, nous nous appuierons sur l’exemple de l’espace artistique Soeng Joeng Toi pour comprendre comment de jeunes artistes non reconnus en situation précaire sont parvenus à se ménager un espace mettant à distance les effets de structures contestés des marchés de l’art. Nous verrons comment cet espace hybride permet à ses membres de développer des attitudes, des postures et des pratiques allant dans le sens d’une critique non oppositionnelle (Deng Liwen, 2020) à l’égard des effets de l’autoritarisme étatique et du néolibéralisme économique. A travers et à partir de ce travail de création artistique et spatial s’élaborent collectivement des capacités d’actions, de réflexivités et de mobilisations pour ces jeunes artistes non reconnus par les marchés de l’art. Par des pratiques collectives culturelles souvent articulées autour d’une création artistique socialement engagée, les jeunes artistes liés à Soeng Joeng Toi construisent une critique collective venant alimenter et orienter leurs capacités à « inventer la société chinoise ».
Mon projet de thèse propose d’étudier les dynamiques de réécriture de l’histoire et les politiques de l’ethnicité liées à la modernisation de la région du Gansu par le projet des Nouvelles Routes de la Soie. Fortement implantés dans la région, les musulmans Hui de langue chinoise considérés comme sinisés et apolitiques, sont l’objet de nouveaux dispositifs biopolitiques dans le domaine de l’éducation et de l’administration du culte, conséquences des politiques ethnonationalistes de l’État chinois. En parallèle, le développement du tourisme de masse dans la région produit une sacralisation de la nation conduisant à l’émergence d’un récit hégémonique de l’histoire, au sein duquel les récits alternatifs à l’identité nationale han disparaissent ou sont cantonnés à une forme folklorisée. Face à ces différents processus de patrimonialisation mais aussi de marketing de l’identité musulmane, les musulmans Hui formulent des réponses variées entre allégeance politique et micro-résistances locales. Pour ce séminaire, en nous basant sur les travaux récents d’anthropologues et d’historiens, nous mettrons en évidence les négociations identitaires, cultuelles et territoriales liées à la patrimonialisation des hauts-lieux spirituels comme les tombeaux de saints soufis. Nous observerons les transformations des pratiques religieuses, les détournements opérés par les acteurs musulmans et les arts de faire avec les politiques patrimoniales, qui font de cet objet un exemple pertinent de la position ambiguë d’agir sur des réalités sociales à leurs échelles. La somme de toutes ces actions micros participe à « inventer la société chinoise » à une échelle plus macro. 5 adoptée par les communautés musulmanes, notamment dans leur interaction avec les autorités locales et étatiques.