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Colloque « Gouverner la violence ? Dynamiques normatives autour de la violence contemporaine »

lundi, 25 mars 2019

Présentation

Colloque organisé dans le cadre du projet Gouverner la violence ?. Projet IMPULSION – IDEXLYON, Université de Lyon - Programme Investissements d’Avenir (ANR-16-IDEX-0005)

Programme

9h15 – 9h30 : Accueil

9h30-11h15 : Session 1 - Dispositifs et instruments du gouvernement de la violence

Discussion – (30 minutes) – Dorota Dakowska (Triangle / Université Lyon 2)

11h15-11h30 : Pause

11h30-13h15 : Session 2 - Usages pratiques des doctrines du gouvernement de la violence

Discussion – (30 minutes) – Yves Buchet de Neuilly (CESSP / Université Paris 1)

13h15-14h30 : Déjeuner

14h30-16h15 : Session 3 - Militaires et configurations du gouvernement de la violence

Discussion – (30 minutes) – Cécile Jouhanneau (ART Dev / Université Paul Valéry Montpellier 3)

16h15-16h30 : Pause

16h30 – 17h30 : Exposé conclusif - Michel Dobry (CESSP / Université Paris 1)

17h30 – 17h45 : Clôture

Argumentaire

Le 6 mars 2019, dans le cadre de la mobilisation sociale des Gilets jaunes, la Haute-Commissaire aux droits de l’homme de l’ONU a demandé « urgemment » à la France « une enquête approfondie sur tous les cas rapportés d’usage excessif de la force ». Alors que l’État a longtemps été défini par le monopole de la contrainte physique légitime, dont il lui reviendrait de tracer les contours, l’exemple suggère le rôle normatif grandissant des organisations internationales dans la (dé)légitimation des pratiques violentes. Depuis plusieurs décennies déjà, et de manière croissante, les acteurs locaux et internationaux, publics ou privés, semblent impliqués dans le gouvernement de la violence. Ils contribuent à questionner le monopole prêté à l’État, son autorité et son rôle ainsi que les (re)définitions de la violence légitime.

Ces contestations croissantes de l’État comme échelon central dans le développement et la mise en œuvre de l’action publique font l’objet, depuis de nombreuses années déjà, de multiples études conduisant à postuler tour à tour son retrait (Strange 1996 ; Avant, Finnemore & Kell 2010 ; Bonelli & Pelletier 2010), son repositionnement en « co-producteur » (Ocqueteau 2004 ; Ansaloni 2017), voire son redéploiement (Hibou 1999 ; Magnon-pujo 2011 ; Genschel & Zangl 2011). Toutefois, dans le domaine du gouvernement de la violence, a fortiori au niveau international, ce questionnement s’avère encore épars. S’il est ainsi reconnu que l’avènement d’une « gouvernance de la sécurité » à l’aube des années 2000 symboliserait cette réévaluation de l’échelon étatique (Krahmann 2003 ; Leander 2005), rares sont les travaux qui analysent « au concret » les modalités de gestion de la « contrainte physique », entre acteurs privés et publics, entre acteurs locaux, nationaux et internationaux. Pourtant, et paradoxalement, les règles encadrant les pratiques violentes ˗ notamment dans le cadre des attaques terroristes, des conflits armés et des situations de sortie de conflits ˗ semblent se multiplier, densifiant ainsi les corpus juridiques et réévaluant, surtout, les manières d’être et de faire légitimes.

Ce colloque se propose d’interroger l’organisation politique et sociale de la violence en adoptant une perspective de sociologie de l’international, attentive aux jeux d’acteurs et d’échelles, aux espaces sociaux, aux lieux et moments d’interaction lors desquels se définissent les comportements (il)légitimes, les pratiques, et donc les normes à l’égard de l’usage de la force (Dobry 2009 [1986] ; Lefranc 2015 ; Schelling 1986 [1960]). Ainsi, nous essaierons collectivement de répondre aux questions suivantes :

AXE 1 : Le gouvernement au concret de la violence : repenser la circulation des normes

Depuis 2001, les décisions et institutions consacrées à la lutte contre le terrorisme se multiplient au sein de l’ONU et de l’UE. À partir de 2005, le Royaume-Uni aurait largement influencé ces politiques européennes qui auraient elles-mêmes irrigué les politiques adoptées par la France, plus tardivement, depuis 2013 et 2014 (Ragazzi 2014). Un tel constat d’une circulation internationale des normes encadrant la violence traverse la littérature scientifique. Il tient souvent pour acquis, au détriment d’une analyse des logiques d’acteurs, que le contexte et une certaine forme de mimétisme sont à eux seuls des facteurs déterminants dans l’adoption de modèles de politiques publiques [1]. Ainsi, rares sont les études qui examinent comment s’opère concrètement cette diffusion (à l’image de ce qui a pu être fait autour de la circulation de savoirs économiques (Dezalay & Garth 2002, Gayon 2017), des doctrines militaires (Daho 2016) ou des politiques étrangères (Pouponneau 2015), et de ce qu’interrogeait déjà Antoine Vauchez (2013)).
Or, qui sont les acteurs qui portent ces normes ? Circulent-ils eux-mêmes d’un espace à l’autre, ou cela se résume-t-il à leurs idées ? Comment parviennent-elles, dès lors, à circuler et à s’imposer dans des espaces politiques et sociaux hétérogènes et dotés de logiques spécifiques (Buchet de Neuilly 2005) ? Comment d’autres projets concurrents sont évincés et renvoyés parmi les « possibles non advenus » (Buton & Mariot, 2009) ? Comment, enfin, au sein de ce processus, ces normes sont redéfinies dans des situations d’interaction (Ambrosetti 2009) ou dans la quotidienneté des acteurs (Debos 2013) ?
En abordant de la sorte le gouvernement de la violence « au concret », les communications seront en mesure de penser les rapports d’ignorance, de concurrence, de hiérarchie et de collaboration entre les différents acteurs et ainsi d’esquisser la structuration du pouvoir entre différentes échelles ou secteurs. En outre, elles permettront d’appréhender plus finement les processus de diffusion des normes à l’échelle internationale. On pourra alors comprendre les conditions d’émergence d’une définition globale de la violence légitime, sous l’influence d’acteurs transnationaux, ou, au contraire, mettre en évidence des luttes de sens, des phénomènes de réappropriations et de redéfinitions des normes selon les pays, les types d’acteurs et les situations.

AXE 2 : Le gouvernement partagé de la violence : un monopole revisité ?

La pluralité des acteurs impliqués dans l’élaboration des règles encadrant les pratiques violentes fragilise l’idée même de « monopole » de la violence légitime. Ainsi, le recours à des compagnies de sécurité privée par les États, l’influence des industriels sur la définition des politiques de défense, ou l’action des ONG dans la mise en œuvre des interventions pour le « retour à la paix » démontrent une imbrication des logiques publiques et privées autour de la gestion politique de la violence (e.g. Abrahamsen & Williams 2011 ; Larrieu 2014 ; Nay 2017). Dans une démarche supposément contraire, des acteurs privés associatifs tentent dans de nombreux pays (parfois avec l’appui d’organisations internationales), par leurs mobilisations contre des pratiques étatiques qu’ils considèrent comme liberticides, de limiter le périmètre d’exercice de la violence légitime. Ce fut le cas en France, lorsque des associations comme Amnesty International ou la LDH dénoncent les facilités accordées aux forces de l’ordre dans le cadre de la lutte anti-terroriste.
Au-delà d’une opposition de principe entre publics et privés, quelles interactions observe-t-on alors entre acteurs investis (ou s’investissant) dans le gouvernement de la violence ? Peut-on y voir une forme de sous-traitance, de gouvernance, d’assemblage voire de gouvernementalité dans un domaine supposément régalien ? Quelles logiques et rapports de force président au développement de ces manières de faire s’imposant dans les États et au-delà ? Partant, quels sont les effets produits par ces échanges, notamment sur les institutions du gouvernement de la violence ?
Les communications pourront interroger ces mécanismes d’élaboration des normes aux confins du public et du privé, les conflits et les compromis témoignant des rapports de pouvoir à l’œuvre entre acteurs, services et individus autour de la définition de la violence légitime (Grajales 2016). L’identification des déterminants à l’action et de possibles logiques transversales pourra faire l’objet d’un intérêt particulier. On essaiera ainsi de comprendre si l’État peut être considéré comme un acteur parmi d’autres du gouvernement de la violence, ou s’il reste le pivot de ces politiques.

AXE 3 : Sciences, savoirs et instruments du gouvernement de la violence

Dans le cadre des sorties de conflit, les commissions vérité et réconciliation sollicitent massivement les populations pour que ces dernières puissent obtenir des réparations et pour documenter les violations des droits de l’homme. Collectées à l’aide de questionnaires – parfois fermés – qui orientent les propos des acteurs, ces expériences ne sont pas seulement recueillies, mais bien transformées en fonction des catégories promues par les organisations internationales, encodées en termes de conflits ethniques et de traumatismes individuels tandis que d’autres violences subies sont écartées et donc « banalisées » car elles ne renverraient pas à la « crise » elle-même (Griveaud 2019). Cet exemple montre que l’appareillage technique et scientifique mobilisé dans le gouvernement de la violence incorpore et consolide les conceptions dominantes de la violence légitime et illégitime. Par ailleurs, l’effet performatif de certains dispositifs de sécurité (bases de données, identification biométrique, scanners corporels, etc.), mais aussi des enceintes où ils sont produits, rappelle la complexité de ces mécanismes de définition des pratiques légitimes (Amicelle, Aradau & Jeandesboz 2015 ; Ambrosetti 2009).
Comment qualifier, dès lors, les modalités contemporaines de ce gouvernement de la violence ? S’appuie-t-il sur des savoirs, des dispositifs, des pratiques spécifiques pouvant contraindre sa définition ? Sous l’influence de quels acteurs, enfin, sont fixés, réévalués, contestés ces dispositifs en place aujourd’hui ?
Les communications pourront, à cet égard, être attentives aux instruments mobilisés pour comprendre quelles valeurs, quelles interprétations de la réalité ils contribuent à imposer (Halpern, Lascoumes & Le Galès 2014). Plus largement, elles pourront interroger les savoirs, les sciences de gouvernement, les réseaux d’experts qui informent, orientent et légitiment l’action publique (Roa Bastos & Vauchez 2019) encadrant les pratiques violentes.

Plutôt que de partir d’une liste d’objets spécifiques et clairement délimités (politiques de luttes antiterroristes nationales ou internationales ; pratiques d’intervention et de gestion de crises ; traités relatifs aux nouveaux systèmes d’armes ; normes de maintien de l’ordre ; usages locaux des doctrines de réforme du secteur de la sécurité ; développement d’acteurs privés, etc.), ce colloque cherche ainsi à revisiter le gouvernement contemporain de la violence établit à partir d’une diversité d’acteurs et d’échelles (sans qu’une coordination ne soit ici présupposée). Les normes, règles et politiques contribuant à définir, encadrer, limiter certaines pratiques violentes et/ou liées aux conflits pourront être ici interrogées à partir d’une perspective sociologique et d’enquêtes empiriques (Siméant 2012). Au-delà des dispositifs eux-mêmes et des arrangements de pouvoir, ce colloque portera en effet sur les processus, les jeux d’acteurs, d’échelles, de logiques, mais aussi les échanges entre secteurs, présidant à leur développement, mise en œuvre et réajustement, ceux-ci contribuant à « mettre l’État en jeu ».

Calendrier

Date limite pour l’envoi des propositions : 30 avril 2019
Réponses aux propositions : 31 mai 2019
Réception des communications : 18 octobre 2019
Colloque : 8 novembre 2019

Comité d’organisation

Comité scientifique

Références

[1En Relations internationales, c’est également une approche idéelle focalisée sur l’importance des croyances, de l’engagement et de l’altruisme qui prédomine lorsqu’il s’agit d’expliquer la diffusion des normes (Finnemore & Sikkink 1998).