![]() |
https://triangle.ens-lyon.fr//spip.php?article1627
|
/ Archives : colloques et journées d’études 2005 - 2016Colloque "Les sciences de gouvernement, Circulation(s), Traduction(s), Réception (s)"jeudi, 17 juin 2010 |
Des travaux entrepris depuis une dizaine d’années proposent de recourir à l’approche socio-historique afin de saisir et d’analyser les savoirs produits et utilisés par les différentes instances et dispositifs de gouvernement. Ces savoirs, voire ces sciences et technologies de gouvernement sont porteurs de représentations, d’idées, de valeurs, de normes et d’intérêts qui sont constitutives de la réalité même de l’action publique. En novembre 2000 avait été organisé, à Grenoble, un colloque sur « La formation des sciences de gouvernement en Europe (XIXe-XXe siècle). Les différentes contributions cherchaient à repérer comment l’action politico-administrative nourrit de nouveaux registres de scientificité, comment des militantismes scientifiques se transformaient en sciences d’Etat, contribuant en retour à la transformation non seulement des activités administratives mais également d’un ordre politique (Ihl, Kaluszynski, Pollet, 2003 ; Payre,Vanneuville, 2003)
Depuis dix ans, ces travaux se sont prolongés, enrichis, élargissant les bornes chronologiques, géographiques et thématiques. Des thèses se sont engagées, en grand nombre, sortant des bornes de la Troisième République pour notamment s’attarder sur l’après Seconde guerre mondiale, sur les années 1960-70 ou encore sur les années 1990-2000 ; d’autres pays que la France ont été choisis comme terrains d’analyse : Etats-Unis, Allemagne, Chili, Turquie… Sur le Chili, plusieurs programmes ont été développés (Ecos, PICS…) notamment sur les formes et enjeux de la notion de compétence, ou encore sur les modes de professionnalisation des structures d’Etat ou les usages de l’objectivité dans l’arène des politiques publiques (Gaxie, Joignant, 2007 ; Deloye, Ihl, Joignant, 2010). S’il fallait évoquer cette décennie, de travaux, nous pourrions dire que ces chantiers de recherche ont appréhendé les sciences de gouvernement sous trois anglesprincipaux : leur élaboration, leur mobilisation dans l’action, la légitimation de l’action qui en découle.
Sur la question de la légitimation, l’objectif est bien de revenir sur les usages politiques des sciences de gouvernement et des formes de scientificité qui leur sont associées. Les usages politiques de la compétence sont ici interrogés notamment à travers l’analyse des présentations de soi, des manières de conquérir les suffrages. Mieux, ces formes de légitimation ne sont pas sans lien avec des redéfinitions des formes d’intervention dans l’espace public. Des figures émergent. Des formes légitimes de compétence s’imposent.
Sur l’élaboration des sciences de gouvernement, le constat partait d’une relative inattention portée aux savoirs politiques et à leur historicité (liée à l’évolution des historiographies disciplinaires). Au mieux, l’analyse de ces savoirs se fondait dans une histoire institutionnelle et disciplinaire, comme la science politique ou le droit public. La sociologie historique des sciences de gouvernement s’attarde, quant à elle, sur l’élaboration de savoirs à prétention scientifique, savoirs prescriptifs qui dessinent de nouveaux horizons à l’action publique. Il s’agit de s’intéresser à la fois à la production des revendications de scientificité des acteurs politiques et administratifs et aux savoirs produits par d’autres groupes moins institutionnalisés notamment dans des espaces intermédiaires. On pense ici à toute une série d’institutions diverses comme les « nébuleuses réformatrices » (Topalov 2000), les think tanks, les comités d’experts ou bien encore les associations.
Ensuite la mobilisation des sciences de gouvernement. C’est bien l’incorporation des savoirs à prétention scientifique dans l’action politique ou administrative qui est ici envisagée. Les formes d’objectivation de cette mobilisation ne sont toutefois pas sans poser problème. Elles sont en particulier confrontées à certaines des impasses de la sociologie de la réception. Reste que les travaux relatifs à l’irruption de nouvelles « sciences de l’Etat » et « dans l’Etat », à leurs effets dans l’action politico-administrative ont enrichi ce chantier (notamment dans le sillage des analyses de l’usage de la statistique en France, en URSS, etc.). Des études ont également été conduites sur la production d’outils d’objectivation « politiques » par des fonctionnaires. La science électorale, avec ses savoirs préfectoraux sur l’opinion ou sur les élections au dix-neuvième siècle, constitue un laboratoire désormais bien balisé. Plus largement, le lien entre sciences et politiques publiques a été creusé. Il a notamment été au centre des travaux des équipes grenobloise et lyonnaise dans le cadre du Cluster 14 de la Région Rhône Alpes (« Politiques scientifiques et politiques publiques »). C’est d’ailleurs dans le prolongement de ce chantier que le présent colloque est proposé.
Toutefois, les travaux réalisés sur les sciences de gouvernement demeurent encore trop peu reliés aux pratiques concrètes. Une manière de dire que la question de la mobilisation des savoirs est celle qui probablement a été le moins creusée. Les relations entre science et pouvoir gagneraient à être saisies à travers l’analyse de la circulation des savoirs mais aussi des formes de scientificité prétendant expliquer la société, entre le pôle théorique et le pôle administratif ou politique. Parmi les savoirs mobilisés par les acteurs politiques et administratifs trois grandes catégories méritent ainsi d’être distinguées :
C’est donc la circulation comme point de vue analytique dont il est ici question. Un point de vue qui a eu du mal à s’affirmer tant les sciences sociales marquent une prédilection pour des oppositions binaires ou des modèles purement statiques ou décontextualisés. Reste que depuis une quinzaine d’années une réflexion assez neuve a été produite, en histoire culturelle et intellectuelle, sur les transferts, les interconnexions entre systèmes culturels et politiques (Schöttler, Werner, 1994). Ces travaux livrent une critique d’une certaine pratique du comparatisme fondée sur la mise en évidence des différences. A travers la circulation comme méthode, on déplace le regard en tentant de s’intéresser moins aux différences qu’aux interconnexions, aux réseaux, à ce qui se développe au-delà, entre ou en deçà des nations, et à leur impact sur certaines réalisations socio-politiques. Autrement dit, la comparaison n’est pas rejetée, mais l’accent est mis sur la comparaison en action, la comparaison en train de se faire, une comparaison qui est placée au centre de la pratique et de l’interrogation des chercheurs (Werner, Zimmermann, 2004). Ces travaux entrent en résonance avec des écrits relativement récents qui s’attardent sur les transferts institutionnels de politiques publiques (policy transfers) et se multiplient particulièrement au sujet des politiques sociales (Dolowitz, Marsh, 2000) ou de l’analyse des institutions (Jacoby 2000).
L’ambition est bien de repérer les traductions, les appropriations d’idées, de techniques politiques venus d’ailleurs et qui vont favoriser une certaine innovation ou nourrir une prétention déclamatoire à la scientificité. Il ne s’agit plus de se contenter de parler de simple « diffusion », d’« influence » ou même d’« emprunt », mais bien de mettre au jour les processus sociaux qui participent à l’échange d’idée et de savoirs et à leur incorporation. Les travaux sur les transferts ont été au centre de nombreuses critiques en Grande-Bretagne (James, Lodge, 2003) comme en France (Hassenteufel, 2005). Ces critiques sont autant de propositions en creux pour une sociologie des circulations. Ces critiques peuvent ouvrir trois pistes de recherche.
D’abord, la question des acteurs de la circulation. Dans la plupart des travaux sur les transferts, il est trop peu question des médiateurs, des acteurs qui portent et transportent des recettes de politiques publiques, des formes institutionnelles, des registres de scientificité. Le premier chantier que nous ouvrirons dans le cadre de ce colloque est celui des vecteurs de la circulation des sciences de gouvernement. Il s’agit de s’interroger sur les ressources des passeurs, sur leurs positions dans les systèmes nationaux ou dans différents champs (culturel, médiatique, militant…). Nous sollicitons des contributions qui portent à la fois sur des acteurs individuels ou collectifs (organisations, revues, congrès, etc.), des entrepreneurs de scientificité d’Etat, des fondations ou associations, des agences ou autorités administratives qui réifient et modélisent des expériences nationales pour mieux les faire voyager.
Ensuite, la comparaison en action. Précisément, dès lors qu’on prend au sérieux ces acteurs du transnational et les groupes qu’ils forment, il convient de s’attarder sur les échanges au sein de ces groupes. Comment penser ces relations ? Les transactions au cœur des processus de circulation constitueront le second chantier. Avec leur jeu de concurrence et de coopération, leurs choix tactiques et leurs mécanismes de publicisation propres. Ne le cachons pas : il y a une réelle difficulté à penser le type de transaction situé au cœur de ces échanges. L’étude de ces rapports est largement dissimulée au regard. Elle s’opère au sein de groupes en mouvement, qui se font et se défont, se cristallisent et se recomposent par delà les frontières. D’où le fait que ce travail soit rapproché ici de la traduction. C’est bien une invitation à une analyse des mécanismes de codage, transposition, hybridation, réappropriation qui est ici faite.
Enfin, il faut s’attarder sur les effets. Il ne suffit pas de montrer qu’il existe des acteurs qui font circuler des sciences de gouvernement, sciences qu’ils contribuent d’ailleurs à traduire et à transformer, encore faut-il s’attarder sur la mise en œuvre concrète des recettes, langages ou politiques associées à ces objectivations d’Etat. C’est là une des critiques adressées aux travaux sur l’apprentissage politique ou encore sur les transferts de politiques publiques : l’insuffisante attention accordée aux effets des transferts ou de l’apprentissage. Les formes de réception seront donc notre troisième chantier. Il s’agira de revenir sur le poids des facteurs domestiques dans l’accueil et l’interprétation de ces sciences de gouvernement venues d’ailleurs. Ce sont bien ces formes d’appropriation ou encore d’acclimatation que nous questionnerons en prenant pour objet les contestations dont fait l’objet l’objectivation de ces savoirs (en matière de climat, d’OGM, de sécurité publique, de politiques sociales, de retraite, de logement…). On le voit : l’ambition de ce colloque est bien de prolonger l’analyse socio-historique des sciences de gouvernement en s’attachant aux processus, vecteurs, mécanismes de circulation, de traduction, de réception. Il s’agira, en somme, de comprendre comment ces modèles d’objectivation du politique (les sciences « dans » et « de » l’Etat), plus ou moins solidifiées et institutionnalisées ont pu, ou non, influencer les modes concrets de gouvernement et les types empiriques d’action publique.
Matin 10h-13h : Mots d’accueil et Introduction du colloque
Circulation de savoirs et naissance des disciplines
Discutant : Christian Topalov(EHESS )
Pause
Après midi 14h30-17h30 : La mobilisation de savoirs économiques dans l’action publique
Discutant : Yves Deloye, (IEP Bordeaux)
Pause
Journée du 17 décembre : IEP de Lyon
Matin 9h30-12h30 : Les réseaux entre circulation et traduction
Discutant : Patrick Hassenteufel (Université Versailles St Quentin en Yvelines)
Pause
Déjeuner sur place
Après-midi 14h00-17h30 : La circulation et ses effets : Ingénieries, dispositifs, dispositions
Discutant : Romain Bertrand (FNSP-CERI)
Pause
Conclusion