Marie Lucas soutient sa thèse en philosophie et études italiennes intitulée « Religion et hérésies dans la pensée d’Antonio Gramsci » |
Marie Lucas est doctorante en études italiennes et philosophie à l’ENS de Lyon, sous la direction de Romain Descendre.
Résumé de la thèse :
Cette thèse offre une étude historico-critique des sources et de la genèse de la réflexion gramscienne sur la religion et les hérésies, depuis son arrivée à Turin (1911) jusqu’à ses dernières notes de prison (1935). Elle restitue une conception du socialisme comme religion, née d’une élaboration collective et militante au sein des revues et du parti, jusqu’à son arrestation (1926). Les résolutions du Komintern en 1923 révèlent un écart entre la politique antireligieuse du groupe dirigeant soviétique et la direction gramscienne du Parti communiste d’Italie qui, elle, exclut l’athéisme militant. La collaboration des communistes italiens avec des catholiques antifascistes dans les années 1920 ouvre des débats sur la dissidence politique comme hérésie et incite à considérer à nouveaux frais l’histoire des rapports entre communistes et catholiques en Italie. En prison, Gramsci rend compte, au lendemain du Concordat de 1929, d’une « capitulation de l’État moderne » devant l’Église, dont les jésuites seraient les artisans, à travers l’actualisation de la doctrine du « pouvoir indirect » de Bellarmin, « marteau des hérétiques ». La confrontation de Gramsci avec les encycliques de Pie XI et les développements de la « pensée sociale » catholique stimule l’élaboration des catégories théorico-politiques des Cahiers de prison. En effet, les concepts gramsciens d’État et d’hégémonie font contre-point aux catégories politiques du magistère catholique du début des années 1930. Devant ce qu’il interprète comme une nouvelle Contre-Réforme favorisée par les accords du Latran, Gramsci développe une conception positive de la religion, sur le modèle de la Réforme protestante, en discussion avec Croce et Weber, et avec la politique économique en Union soviétique. La lecture gramscienne de Marx nourrit alors une conception originale de la croyance collective comme force de transformation historique et du marxisme comme religion immanente et anti-dogmatique. Ayant établi le modèle jacobin français de laïcité comme une hérésie libérale du christianisme, Gramsci cherche à inscrire sa philosophie de la praxis dans une histoire italienne des hérésies, depuis les ferments médiévaux jusqu’à la crise moderniste, aspirant cependant à devenir une « religion supérieure ». L’analogie critique entre christianisme et marxisme permet ainsi d’explorer la tension dialectique entre totalité accomplie et fraction contestataire.
Jury :