Séminaire d’ouverture de l’IAL (International Advanced Laboratory, ENS Lyon/ Académie des Sciences Sociales de Chine : Post-Western Sociology in Europe and in China) : Inventer la société chinoise
18 janvier 2021 : 00h00 - 14 janvier 2021 : 18h21
9h30-16h30, à l’ENS de Lyon, site Descartes, salle D4.260
Programme
- 9h30-10h00 : Introduction par Laurence Roulleau-Berger, Directrice de recherche au CNRS, Triangle
Les interventions seront discutées par Laurence Roulleau-Berger, Grégory Giraudo-Baujeu, Docteur en sociologie et Verena Richardier, Docteure en sociologie
- 10h00-10h20 : Béatrice Zani, Postdoctorante University of Tübingen : Women Migrants in Southern China and Taiwan. Mobilities, Digital Economies and Emotions.
Hidden inside a suitcase, invisible to borders’ controls, an orange, fluorescent bra made in a textile factory in Southern China crosses the Strait and arrives to Taiwan. There, it wanders and circulates, on translocal physical and digital platforms, and it moves back to its place of fabrication in China. Based on multi-sited ethnographic research in China and Taiwan, including over one hundred interviews, my research follows the social life of a bra and explores the mobilities of its producers : Chinese women’s who move from the countryside to the city, their marriage-migration to Taiwan and, eventually, re-migration to China post-divorce. With close attention to the physical and digital strategies that migrants develop in order to undo a condition of subalternity during mobilities, the author considers the women’s use of ecommerce, digital entrepreneurship and links of solidarity. Following both the women and the objects that they commercialise, as well as the emotions that they construct, my work examines the redefinition of mobilities by such women and the plural forms that globalisation and movements can take.
- 10h20-10h50 : Commentaires et discussion
- 10h50-11h10 : Yong Li, Postdoctorant Triangle : Les mobilités étudiantes : la création d’entreprises par les diplômés chinois à Rouen.
En France, depuis une quinzaine d’années, nous constatons une multiplication des initiatives entrepreneuriales chez les étudiants chinois non seulement en Île-de-France, mais aussi en province, dans les villes petites et moyennes. Cette intervention tente de comprendre cette nouvelle dynamique en la situant dans le contexte des mouvements migratoires chinois vers l’Europe, de la transformation de l’économie urbaine française et de la montée de l’individu dans la société chinoise contemporaine. À partir d’une recherche ethnographique auprès d’un groupe d’étudiants chinois créateurs d’entreprises à Rouen, nous nous efforçons d’analyser les stratégies de mobilités et de la carrière migratoire des entrepreneurs chinois issus des anciens étudiants arrivés dans les années 2000. La communication montre les différentes logiques sociales dans lesquelles s’inscrivent les initiatives entrepreneuriales des jeunes Chinois, les liens qu’ils entretiennent avec les migrants chinois installés de longue date en France, ainsi que leurs manières de vivre leur métier de commerçant. Évoluant en dehors des enclaves ethniques parisiennes, les stratégies de mobilité de ces étudiants-entrepreneurs illustrent l’aspiration d’une génération chinoise bien plus individualisée et mobile, véhiculant ainsi une autre représentation de Chine dans la ville Normande qui ne connaissait pas de Chinatown.
- 11h10-11h40 : Commentaires et discussion
- 11h40-12h00 : Marie Bellot, postdoctorante : Expériences professionnelles de jeunes qualifiés chinois, "sens du juste", et fabrique des problèmes publics et sociaux.
Les jeunes travailleurs qualifiés chinois ont intériorisé l’idée d’incarner des « héros ». Soumis à des injonctions à la réussite professionnelle et à la réalisation de soi, ils sont pris dans des situations de double-bind tant la première implique une mobilisation très forte sur les lieux, et en temps, productifs, diminuant d’autant les conditions de réalisation de la seconde (Roulleau- Berger et Yan 2017). La « mobilisation générale » que peut constituer le temps productif pour ces populations implique-t-elle pour autant une implicite absence en tant qu’acteurs politiques ? Par ailleurs, plus que la question de l’acteur politique en tant que finalité, quels sont les processus permettant de se constituer en tant que tels ? Nous nous proposons donc d’interroger ceci en montrant comment les injonctions à la réussite professionnelle - et les implications corolaires en termes de temps productifs, de conditions de vie et de travail – participent d’une fabrique des problèmes sociaux par les confrontations de récits de ces jeunes qualifiés. Ces croisements ne sont pas pour autant produits ex nihilo. L’objectif de cette présentation est de montrer comment ils s’élaborent, dans des espaces de discussion, autour de « sens du juste » forgés à partir de réflexivités sur les expériences professionnelles et socialisations préalables. Ils engendrent notamment l’arrachement des expériences pensées comme individuelles à leur singularité et participent en tant que tel à la fabrique des problèmes sociaux. Enfin, nous montrerons comment les processus de dénonciation en cours lors des discussions opérées dans les espaces investigués dessinent néanmoins une partition entre deux groupes de problématiques : les problèmes publics déjà constitués d’une part, et des problèmes « sociaux » d’autre part, qui ne sont pas pensés comme tels en amont et ne bénéficient donc pas d’un cadrage préalable mais qui sont issus de dénonciations concernant les conditions de travail des jeunes qualifiés.
- 12h00-12h30 : Commentaires et discussion
- 12h30-13h30 : Pause déjeuner
- 13h30-13h50 : Jean Tassin, Doctorant Triangle : Roi Pitaya et les pérégrinations des bananes séchées : négocier les mondes de l’agroécologie paysanne dans la Chine 3 contemporaine.
Dans un double contexte de persistance de l’agriculture paysanne en marge d’un processus de modernisation de l’agriculture et de crise de confiance dans les institutions exacerbée par les scandales alimentaires et sanitaires, le réseau de circuits courts alimentaires – qui prend forme en Chine contemporaine depuis une quinzaine d’années – réagence des sociabilités existantes – villageoises, religieuses, écologiques, etc. – autour de dispositifs économiques innovants – boutiques écologiques, marchés de plein vent, restaurants de producteurs, circuits courts en ligne, etc. À l’échelle locale, les circuits courts apparaissent comme la clef de voute de systèmes agro-alimentaires alternatifs en réintroduisant des formes de lien social dans des espaces de socialisation entre ville et campagne – virtuels et matériels, essentiellement marchands mais aussi culturels, politiques ou spirituels – cependant que l’essor même des réseaux dits alternatifs reflète tout autant de transformations construites à l’échelle internationale, liées à l’appréhension de l’espace social alimentaire – transformations des représentations de l’alimentation et des aliments en fonction de leur origine et traçabilité, des rythmes de distribution et de consommation, des cercles d’interconnaissance entre les mangeurs, entre les différents maillons de la chaîne d’approvisionnement, etc. L’apparition d’entrepreneurs de la bio paysanne, acteurs centraux du renouveau des circuits courts en Chine contemporaine, réalise le lien entre préoccupations économiques, écologiques et politiques – notamment par la rencontre éventuellement paradoxale entre capitalisme vert, justice alimentaire et luttes politiques pour la préservation de l’agriculture paysanne et de ses cultures locales. La formation d’un réseau national intégré à plusieurs mouvements internationaux stimule la circulation et la transformation de savoirs et de normes de l’action collective et des formes d’engagement individuel et collectif et participe à redéfinir le rôle du travail marchand dans le cadre d’une transition écologique globale.
- 13h50-14h20 : Commentaires et discussion
- 14h20-14h40 : Oscar Truong, Doctorant Triangle : Quelle place pour une jeunesse critique en Chine urbaine ? L’exemple de SJT, espace artistique contre les marchés de l’art.
Comment penser la théorie de l’agency en Chine ? Développée en occident, celle-ci suppose que les individus ont des capacités d’action à la fois sur leurs propres vies, à la fois sur l’organisation de la société ou du morceau de société auxquels ils appartiennent. Face à cet acteur capable « d’inventer la société » se trouvent les structures et les effets qu’elles portent à la fois sur les individus, à la fois sur la société. Ces structures et leurs articulations complexes portent le système qui organise une société dans laquelle évoluent les individus. En France, on peut considérer que les structures prennent des formes plus ou moins formelles allant de l’institution à la société civile. Ainsi, les acteurs ont en France le pouvoir d’agir sur les structures, ces dernières produisant même parfois les conditions de leurs modifications. Alors comment intégrer la théorie de l’agency en contexte chinois, non démocratique et autoritaire ? Les structures qui portent et organisent la société chinoise ne sont pas les mêmes qu’en France. Si inventer la société française est un exercice complexe mais possible, que fautil à un individu ou un groupe pour inventer la société chinoise1 ? Pour comprendre comment 1 Nous récupérons ici l’expression « inventer la société chinoise », sans pour autant affirmer qu’un acteur ou un groupe d’acteurs modifient la société dans son ensemble. Ce que nous retenons dans « inventer la société chinoise », c’est la capacité des acteurs à modifier leurs environnements sociaux par leurs actions, la capacité 4 les individus peuvent agir sur leur vie ou le social en Chine, il faut saisir l’organisation de sa société et connaître les modalités à travers lesquelles des actions sociales peuvent être menées. Le caractère instable des modalités d’un engagement politique force l’acteur à une réflexivité développée et une connaissance précise des règles. Etudier les conditions d’invention de la société chinoise nous oblige à nous placer sur le terrain de nos enquêtés, pour comprendre leur réalité sociale, les structures qui pèsent sur celle-ci et la manière dont ces acteurs parviennent à composer dans ce contexte d’inscription. Ainsi, c’est contre la structure ou contre les effets jugés indésirables de cette dernière que peuvent être élaborées des stratégies individuelles ou collectives de mise à distance, d’évitement ou de contestation. A Canton, nous nous appuierons sur l’exemple de l’espace artistique Soeng Joeng Toi pour comprendre comment de jeunes artistes non reconnus en situation précaire sont parvenus à se ménager un espace mettant à distance les effets de structures contestés des marchés de l’art. Nous verrons comment cet espace hybride permet à ses membres de développer des attitudes, des postures et des pratiques allant dans le sens d’une critique non oppositionnelle (Deng Liwen, 2020) à l’égard des effets de l’autoritarisme étatique et du néolibéralisme économique. A travers et à partir de ce travail de création artistique et spatial s’élaborent collectivement des capacités d’actions, de réflexivités et de mobilisations pour ces jeunes artistes non reconnus par les marchés de l’art. Par des pratiques collectives culturelles souvent articulées autour d’une création artistique socialement engagée, les jeunes artistes liés à Soeng Joeng Toi construisent une critique collective venant alimenter et orienter leurs capacités à « inventer la société chinoise ».
- 14h40-15h10 : Commentaires et discussion
- 15h10-15h30 : Raphaël Louvet, Doctorant Triangle : Fictions mémorielles, politiques de l’ethnicité et identités musulmanes : le cas de la patrimonialisation des tombeaux de saints soufis au Nord-Ouest de la Chine.
Mon projet de thèse propose d’étudier les dynamiques de réécriture de l’histoire et les politiques de l’ethnicité liées à la modernisation de la région du Gansu par le projet des Nouvelles Routes de la Soie. Fortement implantés dans la région, les musulmans Hui de langue chinoise considérés comme sinisés et apolitiques, sont l’objet de nouveaux dispositifs biopolitiques dans le domaine de l’éducation et de l’administration du culte, conséquences des politiques ethnonationalistes de l’État chinois. En parallèle, le développement du tourisme de masse dans la région produit une sacralisation de la nation conduisant à l’émergence d’un récit hégémonique de l’histoire, au sein duquel les récits alternatifs à l’identité nationale han disparaissent ou sont cantonnés à une forme folklorisée. Face à ces différents processus de patrimonialisation mais aussi de marketing de l’identité musulmane, les musulmans Hui formulent des réponses variées entre allégeance politique et micro-résistances locales. Pour ce séminaire, en nous basant sur les travaux récents d’anthropologues et d’historiens, nous mettrons en évidence les négociations identitaires, cultuelles et territoriales liées à la patrimonialisation des hauts-lieux spirituels comme les tombeaux de saints soufis. Nous observerons les transformations des pratiques religieuses, les détournements opérés par les acteurs musulmans et les arts de faire avec les politiques patrimoniales, qui font de cet objet un exemple pertinent de la position ambiguë d’agir sur des réalités sociales à leurs échelles. La somme de toutes ces actions micros participe à « inventer la société chinoise » à une échelle plus macro. 5 adoptée par les communautés musulmanes, notamment dans leur interaction avec les autorités locales et étatiques.
- 15h30-16h00 : Commentaires et discussion
- 16h00-16h30 : Conclusion