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Projet ANR - ECOPPAF : Économies de la peine et de la prison en Afrique [2015-2019]

Responsables scientifiques : Frédéric Le Marcis (Triangle, ENS de Lyon) & Marie Morelle (Prodig, U. Paris 1 Sorbonne)

La prison est la figure archétypale de l’enfermement. La peine de prison n’a été véritablement inscrite dans les codes pénaux d’Europe occidentale qu’à la fin du XVIIIe siècle de même qu’aux Etats Unis. Progressivement, ce modèle punitif est diffusé d’un continent à l’autre, à la faveur notamment des empires coloniaux et au service de la conquête et du maintien de l’ordre, sous couvert de civiliser les sociétés présentées comme primitives et dans une logique raciale. Dans les pays occidentaux, l’institution répond à un impératif moral qui réfute désormais l’existence des châtiments corporels, des supplices et de la mise mort des condamnés sur la place publique. Dans les colonies, l’introduction de la prison ne relève pas d’une importation « terme à terme » mais repose sur une traduction locale en fonction du projet colonial et des contextes culturels et sociaux locaux.
Selon les grilles de lecture en présence, la prison oscille entre plusieurs fonctions : celle de punir et d’exclure, celle de réinsérer (par la mise au travail) et celle de produire de la richesse tout en dominant des pans entiers de populations. Depuis sa création, elle n’a cessé d’être l’objet d’un débat, principalement dans les Etats démocratiques, où l’on pointe constamment du doigt son échec à réinsérer. L’institution carcérale ouvre l’analyse à un vaste champ de réflexion sur les rapports de pouvoir et de domination. Elle apparaît comme la peine des pauvres, participe à la reproduction des inégalités. Elle est en lien avec certains espaces, urbains en particulier (la favela, le ghetto américain, le slum ou « la banlieue »).
En 2002, Loïc Wacquant souligne la faiblesse des ethnographies sur les prisons. On peut ajouter que ces ethnographies concernent majoritairement les sociétés industrielles et postindustrielles occidentales. Sur le continent africain, seule l’Afrique du Sud semble faire exception (en raison de la démocratisation du pays et de la fin de l’apartheid). La prison en Afrique reste au mieux le domaine des historiens. A son absence dans les travaux de sciences sociales, répond également le silence du débat public la concernant sur le continent africain. La prison reste un objet mineur des sciences sociales, en Afrique, alors même qu’elle peut ouvrir le débat sur les dynamiques des sociétés africaines contemporaines, entre coercition, contrôle des populations les plus pauvres (dont la jeunesse urbaine, nombreuse et confrontée au sous-emploi) et pacification des relations sociales. L’étude des prisons en Afrique permet d’interroger "l’Etat au travail".

Dans une optique comparative et pluridisciplinaire, l’enjeu principal de notre projet réside donc dans la volonté d’inscrire la question carcérale en Afrique dans le champ des études en sciences sociales. Il est nécessaire de saisir les diverses expériences carcérales et la complexité des modes de punition. La prison ne revêt pas une forme universelle, elle n’est pas non plus totalement prédéterminée par son contexte culturel. Elle est le résultat d’une négociation entre des modèles et des contextes qui sont à la fois sociaux, politiques, spatiaux, historiques et culturels. Ce projet vise ainsi à dé-exotiser la prison en Afrique, à voir comment « la prison » fait sienne les modèles en présence, comment elle les singularise, à plusieurs échelles de temps et d’espace. Ce faisant, à travers la prison africaine, on interroge les logiques globales relatives aux politiques de l’enfermement, tout en faisant également entendre la voix du continent. Dès lors, notre projet se place dans un double contexte, celui des études carcérales et celui des études des sociétés et Etats africains. Partant d’une ethnographie de la prison puis la dépassant, il doit permettre d’engager la réflexion sur l’Etat de droit, la réforme des Etats en Afrique et les enjeux de démocratisation allant de pair avec la lutte contre les inégalités.