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Module Carto - Conférence HN : « Approche spatiale de l’histoire - Faire de l’histoire avec des SIG (système d’information géographique) » Jean-Luc Pinol

28 avril 2015, de 10 à 12h, en salle R 253, à l’ENS de Lyon (site Descartes)

Intervenant

La seconde conférence introductive/complémentaire aux ateliers pratiques numériques sur le thème de la cartographie avec Jean-Luc Pinol a été organisée et animée par François Robert. L’objectif était de montrer les multiples utilisations de la cartographie dans des processus de recherche très variés.

Compte Rendu

Jean-Luc Pinol : « Approche spatiale de l’histoire - Faire de l’histoire avec des SIG (système d’information géographique) »

Introduction de la séance par F. Robert (Triangle) qui présente l’intervenant en précisant que Jean-Luc Pinol s’inscrit, par ses travaux, dans la philosophie des Ateliers pratiques numériques co-organisés par CMW, EVS, HiSoMA et Triangle. En effet, il a été un des premiers historiens à avoir utilisé, seul, l’analyse factorielle dans ses travaux (thèse de 3e cycle en 1980) et qu’il a organisé, au début des années 1980, des ateliers de statistiques et d’informatique destinés aux chercheurs/doctorants avec les premiers Macintosh (128 k).

Présentation (cf. PowerPoint : Approche spatiale de l’histoire)
Jean-Luc Pinol est professeur d’histoire contemporaine à l’ENS Lyon et membre du Larhra. Il utilise depuis plus de 30 ans la cartographie dans ses travaux de recherche et demeure, dans sa discipline, un grand spécialiste de la cartographie historique.
Il introduit ses propos par les questions posées par Kristen Nawrotzi et Jack Dougherty dans leur ouvrage Writing History in the Digital Age : Comment la révolution digitale transforme-t-elle les manières d’écrire l’histoire ? Les nouvelles technologies ont-elles changé les règles du métier et les paradigmes avec lesquels nous pensons, enseignons, publions ? La manière dont nous produisons des connaissances historiques est transformée par les nouvelles technologies et cela ouvre de nouvelles perspectives. C’est ce que l’on nomme le Spatial Turn des sciences sociales.

Le tournant spatial et les SIG.
Les SIG utilisent la localisation pour intégrer et visualiser l’information. « Users can discover relationships by visually detecting spatial patterns that remain hidden in texts and tables » (citation de Bodenhamer David J., Corrigan John, Harris Trevor M. Spatial Humanities : GIS and the future of Humanities Scholarship, Indiana University Press, 2010).

Les premières interprétations de données à partir de l’analyse spatiale remontent au XIXe siècle. Le docteur John Snow (1813-1858) lors d’une épidémie de choléra à Londres en 1854 avance l’hypothèse d’une contamination de la population par l’eau de la fontaine publique de Broad Street. Dans un essai publié en 1855 (On the mode of communication of cholera) il dresse une carte corrélant les décès liés au choléra et la localisation de cette fontaine où la population se fournissait en eau.
Autres types de représentations de données, la carte de flux de 1869 de Charles Joseph Minard (1781-1870) des pertes successives en hommes de l’armée française lors de la campagne de Russie (1812-1813). La carte superpose, sur un fonds cartographique, les soldats entrants et les sortants ainsi que les températures.

 Les principes des SIG
Les SIG s’appuient sur un modèle d’informations géographique basé sur un ensemble logique de couches (fleuves, reliefs, rues, bâti, …) lié à des bases de données dont les données ont des attributs et des référencements géographiques.
Les couches d’informations géographiques peuvent être de deux types : raster et vectorielles. Les cartes raster sont des photographies de cartes officielles scannées à différents formats (.img, .tiff, .cib, .drg, etc.) ce qui explique la lourdeur des fichiers, alors que les cartes vectorielles reproduisent, sous forme de dessin vectoriel, des entités spécifiques (points, lignes, polygone) enregistré sous des formats vecteur (. gpx, .xyz, .dxf, etc.).

Avec des exemples précis, objectivés par des cartes, Jean-Luc Pinol montre les différents types d’analyses possibles avec les SIG.

 1) Localisation topographique simple

a) Les Bombardements de Paris pendant la 1e Guerre Mondiale (carte).
Source : livre de 1930 qui publie en annexe les points de chute des projectiles selon la nature des lanceurs (avions, canons, zeppelins) pour chaque commune et au niveau de l’adresse.
BD : transcription des 150 000 points de chute en points adresses actuelles avec les attributs figurants dans le livre.
Cartes : impacts selon le type de lanceurs.

b) La photographie peut-être un support d’information complémentaire.
L’impact du bombardement du 5 rue Geoffroy-Marie (photo).

2) Localisation et intensité du phénomène

a) Les bombardements de Paris pendant la 2e Guerre Mondiale (carte)
Localisation et quantification du nombre de bombes tombées.

b) Déportation des enfants juifs à Paris entre 1942 et 1944 (carte) :
Carte des adresses des 6 200 enfants juifs déportés. Ils habitent les quartiers les plus pauvres de Paris. Voir le site : http://tetrade.huma-num.fr/Tetrademap_Enfant_Paris/
Il résume sous forme de schéma, son approche de la spatialisation
Sources + données externes + érudition géographique => alimentent une base de données spatialisée => production de cartes de travail <=> regard critique (test des hypothèses) => publication livre ou site Web.

 3) Relation entre les valeurs et les cartes choroplèthes
Une carte choroplèthe représente des quantités relatives à des espaces. Elle pose le problème à la fois d’une manière mathématique et graphique.
Les chiens de chasse à Paris (cartes)
Le nombre de chien de chasse rapporté au nombre d’habitant par quartier établi à partir du Livre foncier de 1901 correspond peu ou prou à celle de l’aristocratie parisienne en 1889.

 4) Relation spatiale entre les objets
Grâce à une requête spatiale on peut comparer des effectifs dans des zones ayant eu des découpages différents.
Conditions de logement en 1954 (cartes)
Pour pouvoir mesurer l’évolution du nombre de petits logements à Paris entre 1954 et 1999, il faut d’abord obtenir des zones comparables en ayant recours à une requête spatiale. Ici, il s’agit d’une requête entre les îlots de 1954 (5 600) et les IRIS (985 îlots regroupés pour l’information statistique) de 1999.

 5) Analyse de données et typologies
Les SIG donnent la possibilité d’analyser spatialement des données en les typologisant.
Conditions de logement en 1954 (cartes)
Le recensement de 1954 fournit, au niveau de l’îlot (5 600 îlots), des données précises sur les logements (date de construction des immeubles de l’îlot, taille des logements, niveau de confort, etc.) avec lesquelles toute une série de statistiques spatialisées peut être réalisée.

En guise de conclusion, il revient sur l’importance du tournant spatial.

Discussion

F. Robert revient sur les travaux de recherche de Jean-Luc Pinol (3e cycle 1980 , thèse d’État 1991) dans lesquels il a toujours utilisé les logiciels de cartographie disponibles. Ces travaux sont un bon exemple de l’évolution de la manière de faire de l’histoire avec la cartographie. Il pose la question de ce que rétrospectivement, les nouveaux outils (SIG) auraient apporté à ces recherches ?

Pour ses thèses, Jean-Luc Pinol utilisa des logiciels de dessins cartographiques. Il souligne que le temps consacré à dresser des cartes manuelles, prénommées “cartes automatiques”, était tellement long que les hypothèses de recherche à partir des cartes étaient faibles car on ne peut se permettre d’en faire plusieurs. Du coup, le temps d’interprétation était réduit. L’outil limitait notre façon de voir les choses et ne poussait pas à la prise de risques. Les chercheurs et doctorants en sciences sociales ne se rendent pas compte que le nombre d’hypothèses qu’on peut faire et vérifier augmente considérablement avec les cartes réalisées avec les SIG ou outils de cartes Statistiques.

D’autres intervenants (Jean-Claude Zancarini, Alexandre Rabot, Hervé Joly, Corinne Manchio) posent la question de la spécificité du Spatial Turn. Pour Jean-Luc Pinol, avec les SIG, la quantité peut se transformer en qualité. On économise le temps pour se consacrer à l’interprétation. Nombre d’archives exceptionnelles n’ont pu être traitées et analysées faute d’outils adéquats. On se contentait à l’époque de les montrer. Il était difficile de faire de la géographie historique car il n’y avait pas de cartes historiques vectorisées de la France, alors qu’aujourd’hui, il existe beaucoup de cartothèques en libre accès. Il prend l’exemple de l’arrestation des enfants juifs parisiens pendant la Seconde Guerre Mondiale. La multiplication des cartes a permis de découvrir que les zones importantes d’arrestation des enfants juifs correspondaient à des zones insalubres qui dénotent la pauvreté de ces quartiers.
La rapidité avec laquelle on fait des cartes permet de croiser les regards disciplinaires (histoire, sociologie, etc.), de poser d’autres questions et d’envisager des corrélations et causalités.

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Compléments d’information pour la conférence

Bibliographie (quelques références)

Numéro spécial d’Histoire & Mesure, 2004, n° 19 (3/4)
“Système d’information géographique, archéologie et histoire”.

Philippe Waniez, « Philcarto : histoire de vie d’un logiciel de cartographie ». Cybergeo : European Journal of Geography (mis en ligne en mai 2010)

Bodenhamer David J., Corrigan John, Harris Trevor M. The Spatial Humanities : GIS and the Future of Humanities Scholarship. Indiana University Press, 2010.

Ian N. Greogory and Richard G. Healey, « Historical GIS : structuring, mapping and analysing geographies of the past », Progress in Human Geography, 2007, 31 (5), p. 638-653.

Anne Kelly Knowles, Placing History, How Maps, Spatial Data, and GIS Are Changing Historical Scholarship, ESRI Press, 2008.

Revues

  • EchoGéo (La revue électronique EchoGéo, créée sous l’égide du laboratoire PRODIG [ http://www.prodig.cnrs.fr ](Pôle de Recherche pour l’Organisation et la Diffusion de l’Information Géographique UMR 8586), a pour vocation de jeter un pont entre la communauté des chercheurs et le public de spécialistes ou d’amateurs éclairés sensible à une information claire, scientifique et pertinente. Notre ambition est de mettre à la disposition des géographes une information scientifique suivie portant sur les Sociétés, l’Environnement et le Développement.). Outre la revue, le site de PRODIG propose toute une série de ressources dont un répertoire CNRS des cartothèques (http://www.prodig.cnrs.fr/spip.php?rubrique199 ) etc.
  • Géocarrefour : http://geocarrefour.revues.org/
    (Fondée en 1926, Géocarrefour (anciennement Etudes Rhodaniennes puis Revue de Géographie de Lyon) est une des plus anciennes revues de géographie d’expression française).
  • Cybergeo : European Journal of Geography (revue.org)

Ressources (fonds cartographiques)

  • Association EPI (Enseignement Public et Informatique) : www.epi.asso.fr
    L’association Enseignement Public et Informatique, association pionnière fondée en 1971, continue de militer pour l’évolution du service public d’enseignement et de formation à la promotion duquel elle reste attachée. Elle veut faire de l’informatique, et des technologies de l’information et de la communication en général, un facteur de progrès et un instrument de démocratisation.
  • SciencesPo (Paris) - Atelier de cartographie : http://cartographie.sciences-po.fr/
    Depuis sa création en 1995, l’Atelier de cartographie contribue à l’innovation pédagogique de Sciences Po en accompagnant la formation des étudiants. Collecte et traitement des données, représentation spatiale des phénomènes sociaux, plus particulièrement des processus de mondialisation, notions de sémiologie graphique sont ses spécialités dont bénéficient les étudiants du Collège et des différents masters. Les nombreux tutorats, individuels ou collectifs et la cartothèque en ligne constituent la base de ce travail pédagogique.
    L’équipe accompagne également les chercheurs et doctorants dans la représentation graphique de leur corpus de données issues des terrains, des enquêtes dans les différents domaines des relations internationales, des sciences politiques ou de l’histoire.
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