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Le vélo, petit rappel historique .. en selle pour l’Italie avec Clément LUY

- 2 décembre 2024

Ce triptyque est consacré au vélo. Comment fut-il un outil de propagande sous l’ère du fascisme italien, et comment se transforme-t-il en symbole de crise dans l’Italie d’hier, et la France d’aujourd’hui ? Et enfin…pourquoi fut-il et sera-t-il toujours un sport populaire ?

Avec Clément LUY, doctorant en études italiennes.

Episode 1 : Comment le vélo est-il devenu le moyen de locomotion le plus répandu en Italie, sous l’ère du fascisme ?

Diffusé le 2 décembre 2024

Pourquoi le cyclisme a-t-il vécu des heures de gloire sous l’ère du fascisme ?

Je pense en effet que l’on peut vraiment parler d’un âge d’or, dans l’Italie fasciste comme dans la France des années 1930 pour le déplacement à vélo et le sport cycliste. Dans les journaux et revues de l’époque, le cyclisme est présenté comme le sport le plus populaire en Italie, au-delà même du football et de la boxe qui ont déjà une très bonne réputation. Les courses en tous genres attirent des milliers de personnes. Il y a une grande effervescence, de très nombreux clubs et associations cyclistes, partout en Italie et en particulier dans le Nord, des dizaines de courses sont organisées tous les week-ends, pour les cyclistes de tous les niveaux.

Et en même temps, le vélo c’est aussi un moyen de transport pas cher ….

Oui, c’est en train de devenir un des moyens de transport du quotidien. Entre 1922 et 1945, donc les années fascistes, il y a entre trois millions au début et jusqu’à six ou sept millions de vélos en circulation en Italie, d’après les statistiques que l’on peut trouver dans les livres d’histoire, c’est un nombre très important qui reflète le niveau de développement industriel et économique des différentes régions : il y en a moins dans le sud et dans les zones les plus reculées, les plus éloignées des villes du sud. A côté de cela, les voitures sont encore très rares, même si les dirigeants fascistes les préfèrent car elles sont plus modernes, et beaucoup plus rapides.

Par conséquent, tant par sa présence dans la vie quotidienne que dans l’activité sportive, soit des amateurs de bas ou de haut niveau ou des professionnels, le cyclisme est bien présenté comme le sport le plus populaire ; l’activité a vraiment plein de formes différentes : du simple moyen de déplacement, jusqu’au sport amateur ou de haut niveau, ou à mi-chemin, l’activité cyclo-touristique avec toutes les excursions dans les collines, en montagne, dans les campagnes, très présente dans les organisations du régime comme le Dopolavoro qui est une organisation de loisirs, créée pour tous les travailleurs pour occuper des heures du temps libre.

Et comment l’Etat a poussé les individus à l’époque, à faire du vélo. Et surtout à en produire ?

Alors pour répondre précisément à cette question, il faut probablement distinguer deux périodes, ce qu’a très bien fait l’historien Stefano Pivato, un des grands spécialistes italiens du sport. Dans les années 1920 et au début des années 1930, le régime fasciste est plutôt méfiant envers le vélo, pour de multiples raisons : ça ne correspond pas à l’idéal de modernité et de vitesse qu’il met en avant, qui est réservée à la voiture, c’est un sport qui est trop connoté « populaire », voire parfois « de gauche » socialiste ou communiste pour le fascisme ; et puis le problème c’est que les courses cyclistes mettent en valeur le mauvais état des routes, au contraire de l’image de modernité que le fascisme veut donner de l’Italie pour développer le tourisme. Et puis le sport pour le régime fasciste ça a l’objectif de construire un homme nouveau, viril, fort musclé, or la morphologie du cycliste ne correspond pas vraiment à cette image, et à ce concept de musculature, contrairement à celle d’autres sportifs comme les boxeurs.

Malgré tout, il n’y avait pas vraiment besoin de pousser les Italiens à faire du vélo, c’est déjà une activité pour se déplacer qui est considérée comme très pratique, très efficace et un sport très populaire, bien que les chiffres dont j’ai parlé soient en dessous de la moyenne européenne et en particulier dans le sud de la péninsule.

Enfin, à partir de 1935 se développe un discours sur la nécessité d’équiper les Italiens en « bicyclettes autarciques » et de les faire pratiquer cette activité cycliste le plus possible.

Et pourquoi un tel revirement quant à l’approche du vélo ?

C’est pour plusieurs raisons historiques, l’Italie subit de plein fouet les effets de la crise économique de 1929 puis l’effet des sanctions diplomatiques décrétées par la France, la Grande Bretagne et la Société des Nations puisqu’elle a envahi l’Ethiopie en 1935-1936 contre toutes les règles du droit international fixées par la Société des Nations.

Donc dans ces conditions, il y a beaucoup de restrictions, le rêve automobile s’évanouit et un grand travail est mené pour présenter le vélo comme le moyen de locomotion idéal : économique, peu consommateur de matières premières dont la rareté se fait sentir, fabriqué en Italie donc vraiment « autarcique ». Le régime fasciste promeut un discours en faveur du vélo qu’on voit dans les journaux, dans des publications, dans les discours politiques, et puis même dans les actualités cinématographiques, des sortes de premiers JT qui sont présentés au début des séances de cinéma. L’enjeu est de montrer que faire du vélo, c’est bon pour la santé et c’est être un vrai « patriote », mais aussi un autre enjeu de ce discours c’est de montrer que dans d’autres pays, il y a des privations similaires et que la situation italienne ressemble à celle d’autres pays.