Émilie Dairon soutient sa thèse de science politique intitulée « De l’expérience à l’expertise : la compétence individuelle aux Nations Unies, une ressource collective ? »
6 décembre 2024 : 14h00 - 17h00
à Sciences Po Lyon, bât. pédagogique, salle 201
Présentation
Émilie Dairon est doctorante en science politique à Sciences Po Lyon.
Résumé de la thèse :
Cette thèse aborde la construction et l’utilisation de la compétence individuelle par les organisations du système onusien à Genève. Elle constitue l’une des premières recherches empiriques sur les compétences professionnelles du personnel des organisations internationales. L’objectif de cette recherche est de comprendre comme les agents vont identifier, développer et mobiliser leurs compétences, entendues comme un ensemble protéiforme d’aptitudes comportementales, relationnelles et cognitives, pour mener à bien leur travail et légitimer leur position. En retour, l’analyse de cette mobilisation va dresser un portrait différent de l’organisation ; comprendre comment elle investit ces compétences, redessine le modèle cognitif développé en interne, et apporte un éclairage différent sur les bureaucraties onusiennes. Le cadre méthodologique utilisé dans cette thèse
est qualitatif, pluridisciplinaire et réflexif, avec une posture post-embarquée originale. La stratégie d’enquête a fait appel à des entretiens semi-directifs et des entretiens ethnographiques avec des agents onusiens possédant des caractéristiques variées comme leurs grades, leurs catégories, le stade de leur carrière, et leurs origines géographiques. De nombreuses notes de participation non observante et de participation post-observante ont été exploitées. Cette thèse débute par une analyse morphologique du personnel onusien, qui révèle de nombreux points saillants dans la relation du personnel à sa compétence : on note déjà une individualisation des parcours avec de très nombreuses modalités contractuelles. La recherche approfondit la notion de compétence en utilisant la socio-histoire, pour mettre en contexte l’usage extensif et stable dans le temps du vocable « compétence » par l’organisation ; cet usage permet de retracer l’adoption de postures clairement néo-managériales. La thèse entre ensuite dans une analyse de la compétence dans la trajectoire de l’agent à travers quatre moments essentiels : les tâches quotidiennes, les temps de formation, la coopération en interne / externe et l’évaluation de la performance, et enfin la carrière, depuis l’entrée jusqu’à la sortie. Ce faisant, l’étude met au jour des tendances importantes : au premier chef, la plongée dans les pratiques quotidiennes permet de voir la déspécialisation (la dilution des compétences techniques) et l’individualisation (la saisie par l’individu des opportunités qui se présentent à lui, sans que l’organisation ait un rôle dans la survenue de ces opportunités), ainsi que la prépondérance de l’équipe par rapport à l’organisation dans le développement et la valorisation des compétences.
L’analyse de la formation permet de voir également un apprentissage individuel qui peine à se transformer en apprentissage organisationnel, et une socialisation compétente mise en place par les agents qui reste une initiative individuelle et dans laquelle l’organisation semble échouer à parachever la professionnalisation de son personnel. L’étude de la coopération met au jour l’existence de bulles d’expertise, avec des sortes d’ilots de savoirs dont la valeur ne tient qu’à un fil, avec une coopération plus aisée à l’extérieur de l’organisation qu’en son sein, ce qui laisse entrevoir ce que le concept de champ peut apporter à l’étude des rapports de pouvoir dans les organisations internationales. Enfin, l’examen de la carrière conclut la confirmation de l’individualisation des parcours et du rôle de l’équipe ; et pose la question de la place de l’organisation dans la définition de ce qu’est être agent onusien. C’est une culture gestionnaire plus qu’une culture de la compétence qui s’est développée dans l’organisation, alors-même que la compétence individuelle appartenait à son socle de légitimité ; toutefois, la revendication constante par l’organisation d’avoir un personnel compétent et dévoué lui permet de maintenir ce socle.
Mots-clés : compétence, expertise, carrière, formation
Composition du jury
- Mme Cécile ROBERT - Sciences Po Lyon - Directrice de thèse
- Mme Mathilde BOURRIER - Université de Genève - Rapporteure
- Mme Mélanie ALBARET - Université Clermont Auvergne - Rapporteure
- M. Olivier NAY - Université Paris 1 Panthéon - Sorbonne - Examinateur
- M. Jan VERLIN - Université Lyon 3 - Examinateur