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Journée d’études « L’encadrement doctoral, des réformes institutionnelles aux pratiques professionnelles »
21 novembre : 13h45 - 22 novembre : 13h00, à l’Université de Franche Comté, Campus de la Bouloie, 45 av. de l’Observatoire, Besançon, bâtiment Fourier, amphithéâtre Cournot et à distancePrésentation
L’encadrement doctoral, défini comme l’ensemble des politiques institutionnelles et pratiques professionnelles visant à réguler le déroulement des thèses et le parcours des doctorant·es, est central dans la fabrique de la science. Bien qu’il soit souvent présent en filigrane dans les travaux consacrés aux parcours des doctorant·es (Gérard 2014 ; Le Bayon 2015 ; Chao et al. 2015 ; Haag 2017 ; Calmand 2020 ; Bataille, Mariage, Mercklé 2022) ou à l’histoire du doctorat (Verschueren, 2024), en France, les enquêtes dédiées à l’encadrement en général et à la direction de thèse en particulier sont encore assez rares (Dahan 2007 ; Godechot, Louvet 2010 ; Gérard 2017 ; Jorro, Saboya 2020 ; Girard 2023) [1]. Par comparaison, au Royaume-Uni, en Australie et au Québec, il s’agit d’un champ de recherches foisonnant en psychologie, sciences de gestion et sciences de l’éducation (Gurr, 2001 ; Wright, Murray, Geale, 2007 ; Denis, Colet, Lison, 2018, 2020 ; Denis, 2020). Le sous-encadrement y apparaît comme l’une des principales causes d’arrêt des thèses (Balsam et Kanbar, 2018 ; Denis, Lison et Colet, 2021), ce que confirme un rapport du FNRS belge (Dethier, Bebiroglu et Ameryckx, 2020).
Aussi riches soient ces travaux, une partie d’entre eux s’attache à typologiser les formes d’encadrement dans une perspective assez normative (identifier le « bon » niveau d’encadrement) et tendent à négliger le cadre institutionnel du doctorat. Ce dernier est pourtant de plus en plus prégnant depuis une trentaine d’année, que l’on pense, en France, à la création des écoles doctorales en 1992, à la mise en place de « chartes » des thèses en 1998 [2], jusqu’à l’institutionnalisation, en 2016, de comités de suivi individuels destinés à vérifier le bon déroulement de la thèse et de la relation d’encadrement. On peut ainsi s’interroger : l’intervention croissante de ces « tiers éducatif » conduit-elle à « bouleverser la relation duale » entre directeur·ice et doctorant·e (Jorro et Saboya, 2020) ? Sommes-nous entrés dans un quatrième « âge de la régulation doctorale » (Serre, 2015), plus protecteur, qui permettrait par exemple de limiter les excès de pouvoir auxquelles sont surexposées les femmes dirigées par des hommes (Gerard, 2017) ?
Les « mots d’ordre réformateurs » ne transformant pas toujours les pratiques professionnelles (Breton et Perrier, 2018), il y a fort à parier que ces réformes ne suffisent pas à rééquilibrer mécaniquement la relation, très asymétrique (Herzlich, 2005 ; Deruelle, 2024), qui lie encadrant·es et encadré·es. Dès lors, l’ère des « patrons » de thèse dépeints dans Homo academicus (Bourdieu, 1984) est-elle révolue ? Plus généralement, que signifie encadrer une thèse, dans le double contexte actuel d’injonction à la « professionnalisation » du doctorat et d’érosion des vocations académiques [3] ? Comment s’entremêlent concrètement, dans la relation d’encadrement, patronage intellectuel, rapports hiérarchiques et projections professionnelles ? Cette journée d’études, qui s’inscrit dans le cadre du projet ENCDOC [4], éclairera ces questions à partir des travaux de spécialistes de disciplines et de périodes distinctes. L’encadrement doctoral y est conçu à la fois comme une modalité centrale de production du savoir scientifique et comme un promontoire pour saisir les rapports de pouvoir dans le monde universitaire.
Programme
Jeudi 21 novembre (après-midi)
- 13h45-14h. Propos introductif (Vincent Lebrou, Luc Sigalo Santos)
- 14h-17h. Historiciser les formes d’encadrement doctoral, XIXe-XXIe siècles
Une première série de communications interrogera l’évolution historique des formes d’encadrement doctoral : comment se matérialise-t-il au cours des XIXe et XXe siècles ? Quel rôle pour les encadrant·es avant la généralisation de la direction de thèse et des écoles doctorales ? Quelles pratiques étaient alors considérées comme légitimes ? À partir de quand et pourquoi l’encadrement devient-il un objet de préoccupation institutionnelle, générant à partir des années 2000 des réformes régulières ? Quels sont les effets de cette institutionnalisation sur les rapports de force entre disciplines et en leur sein ?- Mathieu Béra (U. de Bordeaux, IRDAP). « Marcel Foucault et ses “maîtres de Bordeaux“ : Espinas, Durkheim et Hamelin »
- Pierre Verschueren (U. de Franche-Comté, Centre Lucien Febvre), « Chronique des formes institutionnelles de l’encadrement doctoral : du charismatique au légal-rationnel ? »
- Étienne Bordes (CSO, Sciences Po Paris). « Un changement de paradigme ? L’encadrement doctoral dans un faisceau réformateur (milieu des années 1980-milieu des années 1990) »
- Sylvain Ville (U. de Picardie, CHSSC), Stephan Mierzejewski (U. de Lille, CIREL). « Les encadrants en STAPS avant les encadrants en STAPS (1975-1993) : les effets de l’encadrement sur la structuration d’une discipline »
- 17h15-18h15. « Encadrer, un métier ? ». Table-ronde avec le collectif ECUME et le cabinet Adoc’Métis, animée par Thierry Rigaud (directeur du collège doctoral de l’U. Bourgogne Franche-Comté)
Vendredi 22 novembre (matin)
- 9h30-13h. Objectiver les pratiques d’encadrement doctoral : défis professionnels, enjeux personnels
Une seconde série de communications étudiera l’encadrement doctoral comme ensemble de rapports professionnels et de pratiques de travail. Que signifie encadrer des doctorant·es en contexte de pénurie d’emplois stables dans l’ESR, source de perte de sens et au travail et d’exit (arrêts de thèse, réorientations post-soutenance) ? L’intervention croissante de tiers (école doctorales, comités de suivi, formateurs, etc.) transforme-t-elle la relation entre encadrant·es et encadré·es ? Quel rôle socialisateur jouent les autres instances professionnelles (collectifs de doctorant·es, laboratoires, etc.), et, au-delà, comment les enjeux d’encadrement peuvent-ils déborder sur la vie personnelle des encadrant·es et des encadré·es ?- Irène Ondrahucu (CSO, Sciences Po Paris). « Quand les doctorants en sciences humaines et sociales rencontrent le “laboratoire” »
- Victoria Brun (CSI-i3, Mines Paris). « Conduire sa recherche à travers ses thésard·es : encadrer des portefeuilles de thèse dans les projets de valorisation »
- Fabien Canolle (IAE de Grenoble, CERAG). « Les dispositifs de professionnalisation des jeunes chercheurs en thèse : une forme renouvelée d’encadrement doctoral ? »
- Pierre Bataille (U. Grenoble-Alpes, LaRAC), Manon Baheu (U. Grenoble-Alpes, PACTE). « La qualité de la relation d’encadrement : un facteur de la précarité doctorale ? »
- Farah Deruelle (CERTOP, U. Toulouse 2). « Encadrer les encadrants ? Mutations récentes du doctorat et des relations sexo-affectives dans l’ESR »
Informations pratiques
Contacts : Vincent Lebrou et Luc Sigalo-Santos
L’entrée est libre et gratuite. Pour celles et ceux qui veulent suivre à distance, merci de vous inscrire à l’adresse suivante (un lien visio sera envoyé ultérieurement) :
[1] Exception faite ici des témoignages de directeurs et directrices de thèses, qui constituent en soi un matériau à analyser.
[2] En 2009, la Confédération des jeunes chercheurs (CJC) estimait que 70 % des établissements ne respectaient pas la réglementation, et que 19 % des doctorant·es avaient signé une charte ne fournissant pas les garanties minimales. La CJC a proposé une nouvelle charte en 2016. Entre temps, en 2005, une Charte européenne du chercheur a vu le jour.
[3] Les inscriptions en thèse ont baissé de 15 % entre 2009 et 2016 (source : MESRI). Cette diminution se confirme dans cette période post-Covid. En 2023, l’effectif de primo-inscrit·es ré-augmente pour la première fois, sauf en SHS où il continue de baisser (- 2,3 % par rapport à 2022).
[4] Financé par la Région Bourgogne-Franche-Comté depuis 2022 (dispositif ANER), ce projet est piloté par V. Lebrou et L. Sigalo Santos.