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/ L’observatoire de Triangle

Gilets jaunes – groupe de travail

mardi, 9 avril 2019 [ / UMR 5206]

Présentation

Responsable(s) scientifique(s) : Jean-Claude Zancarini, Guillaume Gourgues

Un groupe de travail sur les Gilets jaunes s’est constitué à Triangle ; nous sommes une vingtaine. Les animateurs du site « Le Vrai débat » ayant demandé l’aide de chercheurs et de laboratoires de recherche pour analyser les résutats, nous avons pris contact avec eux et ils nous ont envoyé l’ensemble de leurs données. Nous avons commencé à mener des parcours de lectures aidées par des outils courants de textométrie. Par ailleurs plusieurs doctorants de Triangle ont mené, dès le début du mouvement, une enquête ethnographique qui s’appuie sur l’observation de plusieurs lieux de mobilisations dans la Région de Lyon Saint-Etienne, ainsi que sur des entretiens biographiques.

Pour ce qui concerne le Vrai débat, nous avons défini une méthodologie, et produit de premières analyses qui remettent en question ce que l’on entend trop souvent dire sur les Gilets jaunes pour les discréditer. Par exemple : une grosse présence de la sensibilité sur l’écologie et l’urgence climatique, ou bien encore une forte demande de service public (proximité, demandes massives de nationalisation ou de re-nationalisations...). Si la colère est bien présente elle reste massivement constructive et dessine une demande de renouvellement de la vie politique et d’une société plus juste... Les revendications identitaires et réactionnaires existent (frexit, immigrés etc.) mais sont très minoritaires : les propositions visant à rétablir la peine de mort ou à revenir sur la loi Taubira sur le mariage pour tous sont par exemple massivement rejetées !

Nous avons fourni aux animateurs du Vrai débat nos premières lectures de ces données. D’autres labos travaillent également sur les données (notamment le LERASS de Toulouse ou l’ISC-PIF) : le groupe des animateurs du Vrai débat rendra publiques toutes ces analyses d’ici la fin de cette semaine.

Lire les éléments de synthèse réalisés par le groupe de travail Gilets jaunes de Triangle (du 8 au 18 mars 2019) (pdf)

Le Vrai débat - éléments de synthèse (du 8 au 18 mars 2019)

I - Méthodologie

L’équipe de Triangle (UMR CNRS 5206, Lyon) a répondu favorablement à la demande de traitement des données issues de la plateforme du Vrai débat. Cet outil de démocratie participative a permis de constituer un document d’intelligence collective de premier ordre, qui se démarque du simple sondage d’opinion. En effet, avec plus d’un million de votes, 25 000 propositions et 93 000 arguments, il a permis à plus de 44 000 utilisateurs de s’exprimer librement.

En tant qu’équipe pluridisciplinaire, nous nous sommes mis d’accord pour appliquer une méthodologie en deux temps : à partir d’un premier traitement réalisable dans les temps impartis, dégager un socle programmatique, puis différents parcours de lecture possibles.

À partir de là les chercheurs tenteront de rédiger une première interprétation, sous la forme de textes courts qui pourraient être également utiles pour l’organisation des conférences délibératives – en particulier, pour le choix des thématiques et des conférenciers.

Nous envisageons de proposer des parcours de lecture sur la question des revenus, des privilèges, de la représentation politique, etc – cette liste n’est évidemment pas exhaustive.

Lyon, le 8 mars 2019.

II - Ce que veulent les participant.e.s au Vrai débat

Ce premier parcours de lecture effectué par le Groupe de Travail Gilets Jaunes de Triangle (UMR CNRS 5206, Lyon) a été réalisé à partir des données de la plateforme du Vrai débat.

Cet outil de démocratie participative constitue selon nous un document d’intelligence collective de premier ordre, qui se démarque du simple sondage d’opinion. En effet, avec plus d’un million de votes, plus de 25 000 propositions et 93 000 arguments, il a permis à plus de 44 000 utilisateurs de s’exprimer librement.

Méthode de travail  : nous avons sélectionné les propositions les plus consensuelles en combinant deux critères : a ) un score (le nombre de votes favorables moins le nombre des votes défavorables et mitigés) ; b) un pourcentage significatif de votes favorables. Avec cette méthode, nous déterminons un Top Mille (1 059 propositions qui regroupent 390 807 votes, 80% des votes sur les propositions ayant atteint au moins 85% de votes favorables et 43% de l’ensemble des votes, soit 898 000) puis un Top Cent (ces cent propositions regroupent 200 686 votes).

Après ce tri par score, nous avons lu et classé les propositions en partant d’une analyse minutieuse du Top Cent, puis en vérifiant si le Top Mille confirmait ou modifiait la première analyse.

Nous identifions quatre grands blocs de revendication  : 1) les personnes qui interviennent dans le Vrai Débat veulent une transformation profonde du système politique ; 2) ils demandent le renforcement du service public ; 3) ils portent une forte demande de justice sociale et fiscale et 4) ils ont une vision très nette de l’urgence des questions écologiques et climatiques.

Il faut noter une série d’autres thèmes qui, sans avoir le même caractère central que ces quatre blocs, dessinent des aspirations sociétales progressistes qui complètent le tableau : importance du système d’éducation, volonté de faire progresser l’égalité hommes-femmes, lutte contre les violences sexuelles, lutte contre la répression, droit à mourir dans la dignité.

Les propositions qui vont dans le sens du refus de l’immigration, du refus de l’Europe (frexit), du repli sur soi, du retour à l’ordre moral existent mais sont très minoritaires : contrairement à ce qui est trop souvent affirmé pour dénigrer le mouvement des Gilets jaunes, les participant.e.s au Vrai débat ne sont, dans leur très grande majorité, ni xénophobes, ni anti-européens, ni homophobes.

Présentons rapidement les quatre piliers du Vrai débat  :

Trois points émergent clairement :

Demande de la création d’un Référendum d’initiative citoyenne (RIC) dont il est souvent précisé qu’il doit pouvoir s’appliquer « en toutes matières » ; cette demande va du simple énoncé « il faut créer un RIC en toutes matières » à des propositions élaborées avec des constitutionnalistes qui précisent les articles à introduire ou à modifier.

Prise en compte du vote blanc et nul, présenté comme un moyen de remédier au désintérêt des citoyens pour les élections et souvent lié à la revendication d’élections à la proportionnelle ; les propositions vont de la seule nécessité de la prise en compte à la demande de l’annulation d’une élection où les votes blancs et nuls seraient majoritaires ; une proposition estime que la prise en compte proportionnelle des votes blancs ou nuls pourrait amener des citoyens tirés au sort à siéger au parlement.

Volonté d’avoir des élus irréprochables et sans privilèges  : on sent dans les nombreuses propositions qui concernent cet aspect une grande colère contre tout ce qui est perçu comme un privilège (les Présidents de la République étant particulièrement visés).

On ne ressent pas de refus du système représentatif en tant que tel, en revanche on trouve toute une série de propositions de réformes visant à remettre les citoyens au coeur du système politique. Par ailleurs, on relève une suspicion très forte de corruption et d’avantages indus qu’il faudrait supprimer. La question du contrôle des lobbies est présente et s’inscrit dans la même logique.

Plusieurs propositions insistent sur la nécessité d’arrêter son démantèlement, de renforcer les équipements qui font partie des biens communs perçus comme menacés. La demande d’un service public efficace et proche des citoyens est récurrente.

La demande de proximité et d’égalité d’accès s’exprime pour la santé (hôpitaux, maisons médicales, médecins), pour les infrastructures de transport (lignes ferroviaires et gares, autres transports en commun).

Beaucoup de propositions demandent des nationalisations ou des « re-nationalisations » pour les autoroutes, les aéroports, le rail, les barrages hydrauliques, les mutuelles, les assurances, les secteurs de l’énergie, les compagnies de eaux et celles de récolte des déchets.

Le titre (et la typographie) d’une des propositions résume l’attitude consensuelle sur la justice fiscale et la colère contre ceux qui fraudent : « Les gros payent GROS et les petits payent PETIT - lutter contre l’évasion fiscale ». Il y a une forte demande d’équité (proportionnalité, progressivité) et de sanctions envers les fraudeurs. La lutte contre l’évasion et la fraude fiscale, le retour de l’ISF sont présentés comme des revendications de justice mais aussi comme des moyens de financer les mesures proposées. Elle va de pair avec la revendication sur le CICE, dont est parfois demandée la suppression mais plus souvent encore la vérification d’effectivité : si ça ne sert pas à créer des emplois il faut récupérer les sommes avancées.

La question des revenus est clairement avancée sur la base de la revendication de justice sociale : indexation des salaires, des pensions et des retraites sur l’inflation, augmentation du SMIC, des retraites, des minima sociaux et de l’Allocation adulte handicapé (AAH), revalorisation des salaires pour les employés des EHPAD, les enseignants, les ATSEM, les personnels des hôpitaux, etc.

Contrairement à l’opposition rebattue entre « fin du mois » et « fin du monde », on observe une aspiration forte à la préservation de l’environnement, souvent conçu comme un bien commun de toute l’humanité.

Interdiction de l’emploi du glyphosate ; soutien à l’agriculture bio ; sanction pour les entreprises pollueuses ; circuits courts ; interdiction des emballages non recyclables ou non biodégradables ; stopper le projet minier « Montagne d’or » en Guyane (une des rares propositions qui concerne les DOM).

* * *

Ces revendications récurrentes et significatives sont porteuses, dans les domaines concernés, d’une vision renouvelée de la société et du fonctionnement politique. Elles sont réalistes, au sens où elles s’accompagnent d’un souci constant de faire apparaître les possibilités de leur financement (voir notamment §3, justice fiscale).

Elles indiquent des sentiments essentiellement constructifs : la colère qui s’exprime lorsque sont évoqués privilèges, injustices et fraudes sert ici à penser des solutions de transformation.

Lyon, le 12 mars 2019.

III - « Ce qu’ils/elles ne veulent pas » : Le rejet des propositions au sein du Vrai débat

Ce second parcours de lecture effectué par le Groupe de Travail Gilets Jaunes de Triangle (UMR CNRS 5206, Lyon) a été réalisé à partir des données de la plateforme du Vrai débat.

Pour rappel, cet outil de démocratie participative constitue selon nous un document d’intelligence collective de premier ordre, qui se démarque du simple sondage d’opinion. En effet, avec plus d’un million de votes, plus de 25 000 propositions et 93 000 arguments, il a permis à plus de 44 000 utilisateurs de s’exprimer librement.

Méthode de travail  : nous avons choisi de prendre les propositions ayant eu au moins 50 votes et qui ont eu le plus fort taux de rejet. Avec un seuil fixé à 80 % de refus, le corpus comprend 103 propositions. Ces propositions sont portées par 83 auteurs (1 seul en porte 6, 1 - 4, 2 - 3 et 8 en portent 2 ) et totalisent 30 288 votes (3,5 % du total). Le graphique ci-dessous montre la distribution des propositions en fonction du nombre de votes et du % de refus. La moyenne et la médiane des pourcentages de rejet sont de 88 %.

L’ensemble de ces propositions a été posté principalement dans 5 thèmes de la plateforme : Expression libre (18), Justice Police (15), Santé (15), Démocratie et institutions (12) et Sport Culture (10). Mais nous ne nous sommes pas appuyés sur cette classification en raison du fait que nombre d’entre elles ne correspondaient pas au thème dans lequel elle figurait. Aussi, après les avoir lues et taguées, nous les avons regroupées en 8 thèmes.

Ces thèmes correspondent donc à ce que les contributeurs-trices ne veulent pas, et nous verrons que ces rejets produisent dans l’ensemble une matière cohérente.

Même parmi certaines propositions, souvent portées par l’extrême droite, on note que certains thèmes sont très peu abordés, comme l’Europe, la religion et l’immigration. Ce qui laisserait à penser que les personnes qui participent au débat ne s’expriment pas en tant que membres d’un parti politique mais de manière individuelle. L’islam, par exemple, n’est évoqué que sur son financement ; l’Europe sur son drapeau (rejet d’un chauvinisme européen mais pas de l’Europe comme institution, etc).

Revenons maintenant aux grands thèmes qui centralisent le rejet des contributeurs du Vrai débat, à savoir :

La remise en cause du mariage homosexuel est la proposition qui a suscité le plus de votes (4371) et qui a été massivement rejetée. De même, le refus de l’avortement n’a eu que très peu de partisans. Cependant, la proposition favorable à la PMA a reçu un taux de rejet à plus de 85 %, ce qui montre qu’un rejet n’est pas toujours porteur de progrès. Ce thème des Droits individuels regroupe plus de 7000 votes (24 % du sous-corpus).

Dans la catégorie du rejet unanime, la ré-instauration de la peine de mort (3800 votes) figure en bonne place. Le mouvement social et plus spécialement celui des Gilets jaunes, qualifié de séditieux, d’antidémocratique, de putschiste etc., est violemment attaqué avec pas moins de 10 propositions (1700 votes). Mais, là aussi, le rejet de ces propositions réactionnaires est massif (91 %). Ces dernières vont de pair avec une demande de port d’armes et l’établissement de la censure … même citoyenne.

Dans ce thème, 3 sous-thèmes se dégagent. Tout d’abord, le refus des privatisations des services publics (y compris la police et l’armée) et de la disparition du statut de fonctionnaires est au coeur des revendications. Ensuite, tout ce qui touche à la fin de la prise en charge de la santé et de l’assistance ne trouve pas non plus d’adeptes. Toutefois s’expriment ici des limites car, par exemple, la prise en charge à 100 % du handicap est rejetée à plus de 94 %.

L’opposition au Référendum d’initiative citoyenne (RIC) qui s’exprime dans 4 propositions provoque une levée de boucliers (+ de 2000 votes). Elle est balayée à l’unanimité. L’abolition de la République et l’établissement d’un suffrage capacitaire (en fonction des capacités intellectuelles), si elles sont peu discutées, sont tout autant rejetées à 93 %.

Au moins 4 propositions traduisent un certain mépris de la culture incarnée par le ministère éponyme ou les musées, accusés de dilapider les deniers publics. Là aussi, le rejet est massif (89 %). La défense de la culture s’exprime également à travers le refus d’une remise en cause du statut des intermittents du spectacle.

La demande de construction de nouvelles centrales nucléaires pour « permettre la transition l’électrique » et l’envoi des déchets radioactifs dans l’espace essuient un refus sans appel (90 %) tout comme l’exploitation du gaz de schiste. La sensibilité écologiste s’exprime ici pleinement.

La vieille revendication pour un retour aux 39 heures (+ de 1000 votes) et une défiscalisation des heures supplémentaires ne trouvent pas d’adeptes, pas plus, d’ailleurs, que le recul de l’âge de la retraite pour les personnes en pleine santé.

L’école suscite beaucoup de débat et de propositions. On retrouve ici des thèmes chers à la droite comme la défense de l’enseignement privé ou le couplage avec les entreprises. Le rejet est clairement exprimé (90 %).

Enfin, dans une sorte de groupe multi-thématiques, se mêlent nombre de propositions qui frisent la provocation comme le non-retour à l’ISF. Toutes sont rejetées massivement.

Il y a une véritable cohérence dans ces refus. Il n’en reste pas moins que parfois, les textes explicatifs rendent la compréhension de la revendication difficile à déchiffrer. Elle peut partir d’une demande de justice et se traduire par des mesures discriminatoires. Il faut donc rester prudent sur l’interprétation qui ne se base ici que sur le titre et le texte explicatif de la proposition.

Lyon, le 18 mars 2019


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